[Le texte ci-dessous a été rédigé par les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence-Couvent de Paname et co-signé par Act Up-Paris]

Cette année, le festival Solidays, porté par l’association Solidarité Sida, fête ses 25 ans.

Un quart de siècle que, sur la pelouse de Longchamp, des milliers de bénévoles et salarié·e·s, récoltent par leur engagement des fonds pour lutter contre l’épidémie de VIH ! Il y a de quoi être sacrément fier·e·s de toutes ces montagnes soulevées depuis 1999 ! Mais aujourd’hui, en 2023, où est le ruban rouge ? Où se trouve la mention de cet engagement acharné dans la communication du festival ?

Certes, la disparition de ce symbole de notre lutte ne date pas d’hier. La direction de Solidarité Sida nous a confirmé que ce choix remonte à 2012 et que le ruban n’apparaît plus, pour partie, que par le logo de l’association. Ces dernières années, il est effacé progressivement du merchandising … « 𝘱𝘢𝘴 𝘢𝘴𝘴𝘦𝘻 𝘷𝘦𝘯𝘥𝘦𝘶𝘳 » (sic). Mais pour marquer une échéance aussi importante que ces 25 ans, son absence est un choc, une blessure, dont nous, les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence, n’arrivons pas à nous remettre.

Association de prévention et de lutte contre les discriminations faites aux personnes LGBTQI+ depuis 1979 aux États-Unis, et depuis 1990 en France, les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence ont prononcé un Vœu de Mémoire. Nous savons donc combien les symboles sont loin d’être simplement symboliques au cœur de nos combats. Ils en sont l’Histoire, celle que l’on se doit d’apprendre, d’honorer, de transmettre et de ne surtout pas, collectivement, laisser prendre la poussière puis oublier.

Initialement, nous avions pensé faire une action sur le terrain du festival, installer un ruban rouge géant de notre fabrication que personne ne pourrait ignorer, à l’entrée du festival. Puis, en attente d’un rendez-vous avec Solidarité Sida pour discuter de nos inquiétudes, nous avons écrit une tribune dictée par la tristesse de notre colère intitulée « 25 ans de Solidays : le festival assume-t-il toujours la lutte contre le VIH/Sida ? ». De nombreuses associations amies et camarades activistes l’ont signée, sans demander à en changer une virgule, et nous ont remerciées pour ce coup de cornette. Certaines structures ont exprimé un accord avec le fond mais n’ont pas pu se permettre de rendre publique la critique, assez virulente, que nous faisions.

Après un échange chargé en émotion avec des membres de l’équipe salariée et la direction de Solidarité Sida, nous avons finalement décidé de garder ce texte en relique secrète, car il y a en jeu, des deux côtés, bien trop d’affects. Notre intention n’a pas été et n’est pas de blesser quiconque est engagé.e dans cette lutte de ce qui est, aujourd’hui encore, une pandémie.

𝗡𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗱𝗲́𝘀𝗮𝗰𝗰𝗼𝗿𝗱 𝗲𝘀𝘁 𝘂𝗻 𝗱𝗲́𝘀𝗮𝗰𝗰𝗼𝗿𝗱 𝗮𝘃𝗲𝗰 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗵𝗼𝗶𝘅 𝗲𝘁 𝘀𝘁𝗿𝗮𝘁𝗲́𝗴𝗶𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗱𝗶𝗿𝗲𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻.

Durant cette discussion, elle nous a confirmé que le choix de gommer le ruban rouge était conscient, et qu’il n’y aurait pas de ruban sur les communication à venir. Il nous a aussi été dit que Solidays n’avait en fait jamais été « 𝘭𝘦 𝘧𝘦𝘴𝘵𝘪𝘷𝘢𝘭 𝘥𝘦 𝘭𝘶𝘵𝘵𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘭𝘦 𝘝𝘐𝘏/𝘴𝘪𝘥𝘢 » mais un événement festif célébrant « 𝘭𝘦𝘴 𝘴𝘰𝘭𝘪𝘥𝘢𝘳𝘪𝘵𝘦́𝘴 » (sic).

Entendons-nous bien, les frangines ont aussi fait vœu de Solidarité, et nous efforçons à chaque action de le faire vivre de la manière la plus intersectionnelle possible, à nos niveaux, en continuant d’apprendre autant que de transmettre. Mais depuis 25 ans, nous avons investi Solidays comme ce qui nous a été confirmé qu’il n’était pas, sur une ambiguïté sciemment, voire savamment, entretenue. Depuis 25 ans, nous avons voulu croire en ce qui n’était pas. Les associations VIH et LGBTQI+, ainsi que les actions de prévention menées par les membres et bénévoles de Solidarité Sida sur le festival apportent la crédibilité militante, tandis que la communication masque l’âme véritable de l’événement.

Avant d’aller arpenter les trottoirs — ou de « nous manifester » comme disent nos Soeurs américaines, de 11 ans nos aînées — nous nous questionnons sur le sens et le pourquoi de chacune de nos actions. La direction de Solidarité Sida confirme nos craintes sur la stratégie de communication, et de rentabilisation « 𝘶𝘵𝘰𝘱𝘪𝘲𝘶𝘦-𝘱𝘳𝘢𝘨𝘮𝘢𝘵𝘪𝘲𝘶𝘦 » (sic) de « 𝘭’𝘦́𝘤𝘰𝘴𝘺𝘴𝘵𝘦̀𝘮𝘦 » (sic) Solidays. Nous avons donc besoin de repenser nos modes de collaboration avec cet événement.

Act-Up nous l’a appris, on ne combat pas une épidémie dans le silence. Et celui qui règne délibérément autour de la prévention VIH/sida dans la communication de Solidays nous est douloureux et difficilement supportable.

Depuis le début de la pandémie, plus de 40 millions de personnes sont mort·e·s du sida. En France, plus de 5000 personnes ont encore découvert leur séropositivité en 2022, et près de 25000 encore vivent avec le virus sans le savoir, alors même que la stratégie de dépistage a été fortement ralentie par l’épidémie de Covid-19. Dans le monde, 35 millions de personnes vivent avec le VIH, avec un accès aux traitement, vitaux, violemment inégal.

Nous sommes donc loin de l’objectif des 90% de séropositif·ve·s dépisté·e·s, mis·es sous traitement et avec une charge virale indétectable leur permettant de ne plus transmettre le virus, visé par l’Onusida pour 2030 ! Et les sondages confirment encore cette année un taux alarmant d’idées reçues et fausses informations sur la santé sexuelle en circulation chez les 15-24 ans dans l’Hexagone.

Comment peut-on, dans ce contexte, ne pas questionner cette stratégie de « l’outil » (sic) Solidays, alors qu’elle constitue une force de frappe incommensurable pour sensibiliser la jeunesse en quête de savoir et d’action pour un meilleur futur qui vient y faire la fête ? « 𝘓𝘦 𝘝𝘐𝘏 𝘯’𝘪𝘯𝘵𝘦́𝘳𝘦𝘴𝘴𝘦 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘱𝘦𝘳𝘴𝘰𝘯𝘯𝘦 », « 𝘭’𝘦́𝘱𝘪𝘥𝘦́𝘮𝘪𝘦 𝘯’𝘦𝘴𝘵 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘤𝘦 𝘲𝘶’𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘦𝘯 1999 », s’est-on entendu dire. Mais comment peut-on s’étonner de la marginalisation d’un combat à laquelle on participe, même avec la sincère et bonne intention de récolter des fonds qui lui seront très utiles ? Dans un temps où, dans le monde, les démocraties s’affaiblissent et que les régimes autoritaires se durcissent, comment ne pas être tenté·e·s de rappeler les responsabilités politiques, et de santé publique, qui incombent à une si formidable plateforme ?

Lorsque Freddie Mercury chantait The Show Must Go On, il ne parlait pas que du spectacle. Des vies sont toujours en jeu, nous pleurons toujours celles·eux parti·e·s trop tôt au Paradisco. Nous ne pouvons laisser dans l’ombre celles·eux qui, aujourd’hui encore, sont directement impacté·e·s dans leur corps, dans leur vie, par le virus. Nous devons tous·tes continuer d’arborer fièrement notre ruban rouge, de lever le poing et de faire connaître les nombreux moyens de prévention à toutes les personnes qui en ignorent encore l’existence et l’efficacité !

Malgré notre amour dès le premier jour avec ce festival, avec celles·eux qui le font se lever de terre chaque mois de juin depuis 1999, pour que puissent exister à travers Solidarité Sida de nombreuses et indispensables actions de prévention ou des programmes d’aide aux malades à travers le monde, les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence du Couvent de Paname n’ont pas le coeur à être sur la pelouse de Longchamp cette année.

𝗡𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗰œ𝘂𝗿 𝗲𝘀𝘁 𝗯𝗿𝗶𝘀𝗲́ 𝗲𝘁 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗺𝗮𝘀𝗰𝗮𝗿𝗮 𝗿𝘂𝗶𝗻𝗲́, 𝗼𝗻 𝗻𝗲 𝘃𝗮 𝗺𝗲̂𝗺𝗲 𝗽𝗮𝘀 𝗰𝗵𝗲𝗿𝗰𝗵𝗲𝗿 𝗮̀ 𝗹𝗲 𝗰𝗮𝗰𝗵𝗲𝗿. 𝗡𝗲 𝗽𝗮𝘀 𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝗖𝗲́𝗿𝗲́𝗺𝗼𝗻𝗶𝗲 𝗖𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗹’𝗢𝘂𝗯𝗹𝗶 𝗱𝘂 𝗣𝗮𝘁𝗰𝗵𝘄𝗼𝗿𝗸 𝗱𝗲𝘀 𝗡𝗼𝗺𝘀 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗰𝗼𝘂̂𝘁𝗲 𝗱’𝘂𝗻𝗲 𝗺𝗮𝗻𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗶𝗻𝗱𝗶𝗰𝗶𝗯𝗹𝗲.

Permanent·e·s et bénévoles de Solidarité Sida, festivalier·e·s, camarades de luttes associatives, chapiteaux et emblématique petit train de l’entrée technique : vous allez terriblement nous manquer. Mais notre planète est toute petite pour celles·eux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour !

Promis : nous nous retrouverons sur d’autres trottoirs, d’autres gazons bénis, sur lesquels nous n’avons pas fini de crier, chanter, embrasser, raconter et nous casser la gueule dans la Joie.

Promis : ici ou ailleurs, ou les deux, nous nous retrouverons.

Mais cette année, nous remisons nos paillettes.

Amen, and Women, and All the Others !