En vue des élections législatives, ACT UP-PARIS ne lâche rien sur la déconjugalisation de l’AAH.

Que l’allocation adulte handicapée (AAH) ne soit plus calculée selon le principe de conjugalité mais sur les seuls revenus de la personne concernée compte au rang des luttes historiques pour les droits des PVVIH1 portées par Act Up-Paris. Depuis sa qualification au deuxième tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est livré à des déclarations pouvant tout juste laisser penser qu’il a corrigé son jugement à ce sujet. Alors qu’il n’a eu de cesse de refuser de déconjugaliser l’AAH pendant son premier mandat, qu’aucune mention n’était faite de cette mesure dans son programme présidentiel, ce revirement  ne peut apparaitre autrement pour Act Up-Paris que comme une parfaite démonstration d’opportunisme électoral.

Une proposition de loi  portant sur diverses mesures de justice sociale prévoyant de déconjugaliser l’AAH, déposée par la députée Jeanine Dubié en décembre 2019, aurait pu être adoptée pendant le précédent quinquennat d’Emmanuel Macron. Il n’en fut rien. Au contraire, son gouvernement et sa majorité, pliés à sa volonté, s’y sont toujours opposés. Bien que soutenue par l’ensemble des oppositions rassemblées contre la majorité présidentielle, cette proposition de loi a fait l’objet de vifs affrontements législatifs ces derniers mois, sanctionnés par des refus répétés.

Au cours de sa deuxième lecture en Commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, le 9 juin 2021, le texte de la proposition de loi a été sciemment dénaturé par les membres de la majorité. La déconjugalisation fut écartée, remplacée par un vulgaire abattement forfaitaire2 et le principe de conjugalité du calcul de l’AAH préservé aux dépends des personnes handicapées.

Le gouvernement ne s’est toutefois pas contenté de ce procédé. Le 17 juin 2021, Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, a été jusqu’à enterrer le débat qui se tenait à l’Assemblée nationale pour discuter des amendements votés en Commission des affaires sociales. Après avoir appelé à la mise en réserve du vote, craignant une issue qui lui soit défavorable, Sophie Cluzel a finalement utilisé l’article 44 et le « vote bloqué » pour contraindre les députés à voter le texte validé par l’exécutif sans qu’il ne puisse être modifié.

Suite à de nouveaux affrontements entre le Sénat et l’Assemblée nationale en octobre dernier, la proposition de loi Dubier reste enfermée dans une impasse parlementaire. Ce désaccord aurait dû mener à la constitution d’une Commission mixte paritaire à laquelle le gouvernement a opposé une fin de non recevoir, trahissant le dogmatisme de l’exécutif à ce sujet. Ainsi, les récentes déclarations  d’Emmanuel Macron sur la déconjugalisation de l’AAH, présentées comme un renversement par la presse, apparaissent-elles d’autant plus hypocrites.

« Actuellement, en France, « quelles que soient les prestations, ce qui est assez juste c’est qu’on regarde la situation familiale et la capacité de contribuer du couple. Ce qui est vrai, c’est que cela crée une situation aberrante pour les personnes en situation de handicap. Donc on va le bouger », s’est-il permis d’affirmer le 15 avril dernier sur France Info. Seulement affirmer vouloir « bouger » sans éclaircir son propos  n’engage à rien. Ce qui semble très clair, c’est une volonté de ne pas se désavouer.

Cette situation qu’Emmanuel Macron se permet de qualifier « d’aberrante » comme si sa responsabilité n’était pas engagée, c’est pourtant celle que son gouvernement et sa majorité défendaient hier encore comme un mal nécessaire et justifié. Lors des débats, parmi les arguments les plus mensongers instrumentalisés, la déconjugalisation de l’AAH a été présentée par la majorité comme une attaque contre le principe de subsidiarité de l’État, jusqu’à parler d’une mesure qui menacerait l’ordre socio-fiscal fondé sur la solidarité conjugale et avec lui l’équilibre républicain. Cette rhétorique n’a jamais servi qu’à dissimuler la craintes de revendications similaires  pour les autres minimas sociaux, en particulier le RSA.

Sans surprise, Emmanuel Macron est plus intéressé à justifier, avec le principe de conjugalité, le modèle familialiste et avec lui la primauté de l’hétéropatriarcat qu’à reconnaitre la dangerosité de ce principe qui légitime un système d’emprise et de dépendance financière, d’autant plus délétère pour les femmes handicapées qu’elles sont surexposées aux violences conjugales. Malgré les recommandations partagées dans le  rapport rendu par le Sénat en 2019 sur les violences faites aux filles et aux femmes handicapées3 et celui rendu par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU en septembre 20214, rappelant l’urgence de sanctuariser l’indépendance financière des femmes handicapées et la nécessité de légiférer en ce sens, en mesure préventive, Emmanuel Macron n’a jamais révisé son jugement.

Sur France Info, il a poursuivi son propos jusqu’à présenté une fausse alternative : « Il y a plusieurs réponses, il y a soit [ la déconjugalisation de l’AAH], soit avoir un revenu qui n’est pas conditionné, justement qui permette d’accompagner mais qui n’est pas ce couperet aujourd’hui absurde. » Au cours du débat qui l’opposait à Marine Le Pen le 21 avril, il a distillé les mêmes éléments de langage et affirmé être « favorable à corriger cet effet de bord. »

Le refus de considérer le principe de conjugalité du calcul  de l’AAH comme un problème fondamental se heurte aux recommandations de toutes les instances nationales et internationales unanimes à condamner une situation contraire au respect des droits humains, au droit à la dignité, à l’autonomie ainsi qu’au droit de s’auto-déterminer des personnes handicapées. La nouvelle stratégie d’Emmanuel Macron consiste à diluer sa responsabilité derrière ce qu’il voudrait faire maintenant passer  pour un simple « effet de bord, » comme s’il s’agissait d’une erreur technique. Ses déclarations maitrisées laissent penser qu’il entend poursuivre dans la voie  des ajustements  mineurs pour conserver le fond du système, appuyé sur le principe de conjugalité, ce qui ne revient jamais qu’à déplacer, comme il l’a déjà fait avec son projet d’abattement forfaitaire, le « couperet » de quelques millimètres.

Tant que le principe de conjugalité du calcul de l’AAH ne sera pas abrogé, la menace de la dépendance financière reste entière. Contrairement à ce qu’Emmanuel Macron continue d’affirmer, il n’y a pas plusieurs réponses possibles. Il n’y en a qu’une qui soit acceptable, la seule qui soit en accord avec les droits humains et les libertés fondamentales énoncés dans la Convention internationale des droits des personnes handicapées de l’ONU, la seule revendiquée depuis des décennies par les personnes concernées, par les séropos et Act Up-Paris5: que l’AAH soit individualisée.

 

Act Up-Paris exige :

– La déconjugalisation de l’AAH, du RSA et de l’ASPA

– La revalorisation de l’AAH, de l’ASPA et l’instauration d’un minimum pour la pension d’invalidité à hauteur du SMIC

– La réindéxation du montant de l’AAH sur l’inflation

– La fin de la réduction du montant de l’AAH à 30% pour les bénéficiaires incarcérées et hospitalisées plus de 60 jours


1 Personne vivant avec le VIH

2 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3970/CION-SOC/AS7

3 http://www.senat.fr/rap/r19-014/r19-014.html

4 https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRPD%2fC%2fFRA%2fCO%2f1&Lang=fr

5 https://www.actupparis.org/2021/06/06/aah-plaidoyer-pour-une-veritable-mesure-de-justice-sociale/

Déconjugalisation AAH
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