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La mise en place en Europe d’un essai évaluant une nouvelle molécule anti-VIH soulève l’indignation des associations, qui dénoncent un risque de « perte de chance » pour les patients. Sûr de son fait, le promoteur de l’essai – le laboratoire Schering-Plough -, refuse toute négociation… avant de proposer de décevantes concessions.

Juin 2004. Le laboratoire américain Schering-Plough prépare la mise en place, en Europe et au Canada, d’un essai de phase II visant à définir la dose optimale d’un nouveau produit – le SCH 690 – chez des personnes infectées par le VIH n’ayant encore jamais reçu de traitement (dites naïves). Le SCH 690 est une molécule intéressante. Appartenant à la classe des inhibiteurs d’entrée, il agit en bloquant les co-récepteurs CCR5 qui permettent, avec le récepteur CD4, l’entrée du VIH dans la cellule. Bien toléré lors des études préliminaires, le SCH 690 a entraîné une baisse significative de la charge virale en quatorze jours de traitement (- 1,6 log avec des doses de 25 à 50 mg 2 fois par j) [[SCH D: Antiviral Activity of a CCR5 Receptor Antagonist (A 140LB), Schurmann DS, 11th CROI, 8-11.02.04.]]. Reste désormais à savoir si cette activité se confirme sur un nombre plus conséquent de patients, et se maintient à long terme avec une tolérance acceptable. Bien que la perspective d’une évaluation en Europe du SCH 690 soit réjouissante, Schering ne semble pas pressé de présenter le protocole de l’essai aux associations de patients [[ L’EATG et le TRT-5. Le TRT-5 réunit des membres des associations Aides, Arcat, Act Up, Actions Traitements, Sida Info Service, Dessine moi un mouton, Nova Dona, Sol En Si.]] [[Plus précisément, Schering disait vouloir rencontrer les associations, mais refusait de leur transmettre le protocole de l’essai. Ce n’est que lorsque celles-ci ont menacé d’annuler la rencontre que la firme a consenti à communiquer les documents.]]. Après plusieurs sollicitations, le laboratoire finit cependant par céder ; à contre cœur ? A contre temps sûrement. Quand l’European Aids Treatment Group (EATG) et le TRT-5 constatent le caractère non éthique du protocole et sollicitent sa révision, Schering répond qu’il est trop tard : dans certains pays européens, l’essai a déjà été accepté par les autorités [[A l’heure où nous écrivons, en France, le comité de protection des personnes n’a pas encore rendu son avis concernant ce protocole.]] ; une modification du protocole ralentirait le développement du SCH 690.

L’impasse des critères

L’essai de dose du SCH 690 doit inclure 80 personnes naïves de traitement réparties sur 20 centres cliniques en Europe (dont 4 en France) et au Canada. Ces patients seront randomisés en quatre bras recevant différentes doses de SCH 690 (25 mg, 50 mg, 75 mg en une fois par jour) ou un placebo[[Update on Schering Plough’s entry inhibitor in phase II clinical development, Levin J., XV International AIDS Conference, July 11-16, 2004, Bangkok, http://www.natap.org/2004/Bangkok/bangkok_07.htm ]]. Pendant les 2 premières semaines de l’étude, les patients ne recevront que du SCH 690 ou le placebo. Puis, à la fin de la 2e semaine, Combivir (AZT+3TC) sera ajouté au traitement par SCH 690 ; aux patients recevant le placebo, une trithérapie incluant Combivir et Sustiva (efavirenz) sera délivrée. La durée totale de l’étude est fixée à 48 semaines. Les raisons de l’ire des associations résident dans les critères d’inclusion définis par Schering [[Courriers de l’EATG à Schering Plough et du TRT-5 à Schering Plough, respectivement datés du 6.07.04 et du 8.07.04.]] : en l’état, ceux-ci permettent en effet à des personnes très immunodéprimées (CD4 entre 50 et 200/mm3), possédant une charge virale élevée (? 100 000 copies/mL), de participer à la recherche. Or, chez de tels patients, « il est justement recommandé de débuter [la prise en charge thérapeutique, ndlr] par une multithérapie plus puissante (quadrithérapie) »[[<7>]]. La prescription à ces personnes d’un traitement dont l’efficacité et la posologie optimale ne sont pas établies apparaît donc comme allant à l’encontre des recommandations, et par là même, contraire à l’éthique. Concrètement, un des risques pour ces patients est de développer des résistances à Combivir et au SCH 690. En outre, l’inhibition du co-récepteur CCR5 peut contribuer à l’altération des défenses immunitaires ; un effet particulièrement délétère chez les personnes ayant un faible taux de CD4, plus sensibles aux infections. Lors des essais de phase I, un patient a d’ailleurs développé une syphilis secondaire, un autre a été longuement hospitalisé pour une forte fièvre d’origine indéterminée[[<1>]]. Par ailleurs, chez certains patients, le blocage des CCR5 induit l’émergence de souches virales utilisant les récepteurs CXCR4, associées par hypothèse à une progression plus rapide de la maladie. Enfin, à cela s’ajoute le préjudice psychologique, d’ampleur variable selon les personnes, en cas d’échec d’un premier traitement. Inversement, les critères d’inclusion retenus par Schering permettent aussi la participation à l’essai de personnes qui, d’après les recommandations, n’ont pas besoin de traitement (CD4 ? 350/mm3). L’inquiétude des associations porte également sur les critères qui définissent l’échec virologique et conditionnent la sortie de l’essai : seule l’ampleur de la baisse de charge virale est prise en compte dans le protocole et ce, avec des exigences (-1 log à la 8ème semaine de traitement) inférieures aux recommandations actuelles. Ces dernières insistent pourtant sur l’importance d’une chute rapide de la virémie (« au moins 1 log de la charge virale plasmatique après 1 mois de traitement »), ainsi que sur la nécessité d’atteindre l’ « indétectabilité au-delà du 3e-6e mois »[[VIH Edition 2004, Girard P-M., Katlama C., Pialoux G., Doin, 2004.]]. La conséquence pour les patients inclus dans l’essai est un possible maintien prolongé sous un traitement suboptimal, n’apportant aucun bénéfice mais engendrant effets indésirables et résistances. Doté de critères d’inclusion excessivement larges et de critères d’échec en deçà des exigences actuelles, l’essai de Schering ne présente pas, selon les associations, la rigueur scientifique que l’on est en droit d’attendre d’un protocole international, et n’offre pas la garantie d’une protection optimale des patients.

« La responsabilité des médecins »

Reconnaissant la légitimité des inquiétudes exprimées par les associations, le laboratoire renvoie la balle aux investigateurs : « Nous croyons que les investigateurs ont clairement en tête le fait qu’ils doivent d’abord considérer ce qui est le mieux pour leurs patients avant de leur proposer d’entrer dans cet essai […]». « L’application des recommandations [nationales, ndlr] de traitement, que ce soit pour l’initiation du traitement ou la définition de l’échec, relève de la responsabilité des médecins […] »[[Schering Plouh response to the EATG, by Dunkle L, 12.07.04.]]. En d’autres termes, il ne tient qu’aux cliniciens d’appliquer des critères plus stricts que ceux définis par Schering ; lorsque ceux-ci rejoignent l’intérêt du patient, cela est même de leur devoir, d’après le laboratoire. Cette argumentation de Schering a de quoi surprendre. Les médecins impliqués dans les essais cliniques présentent en effet un conflit d’intérêts évident, inhérent à leur double activité : si leur devoir est effectivement d’assurer la meilleure prise en charge des patients, ils sont aussi soucieux de la compétitivité à l’échelle européenne de leur centre clinique ; une compétitivité qui intègre notamment la capacité à inclure rapidement des patients dans les protocoles. Peut-on en conséquence leur demander de « prendre leurs responsabilités » tout en leur opposant des critères qui n’encadrent pas suffisamment la pratique pour assurer la sécurité des patients ? Ne serait-il pas plus sécurisant pour tout le monde d’appliquer directement des critères en accord avec les recommandations d’experts ?

Contexte concurrentiel

L’inflexibilité de Schering apparaît dans un premier temps difficilement compréhensible. S’agit-il d’une attitude de mépris à l’égard des exigences – vues comme des caprices – éthiques des patients ? Peut-être. En dépit des volontés affichées de collaborer avec les associations, les firmes supportent mal le fait que certains groupes associatifs se permettent un regard critique sur leurs stratégies de développement. Les débats qui ont eu cours au Parlement français à l’occasion de la révision de la loi Huriet sont instructifs à ce titre [[Art. 42, Loi de santé publique. Voir à ce sujet les comptes-rendus des débats au Sénat et à l’Assemblée nationale.]] : rarement autant d’énergie aura été déployée pour contrer le droit d’accès aux protocoles demandé par les associations. Mais une autre raison à l’attitude de Schering se dessine aujourd’hui : la firme Pfizer a en effet prévu la mise en place d’essais de phase II/III évaluant son propre anti-CCR5, l’UK 427-857, dès la fin 2004 [[ www.natap.org ]]. Selon des sources proches du dossier, ces essais devraient inclure plus d’un millier de patients en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique du Sud ; si tout se passe bien, l’anti-CCR5 de Pfizer pourrait donc rapidement briguer une place sur le marché… Et voler la vedette au SCH 690 de Schering ! Ce qui serait financièrement dommageable pour Schering et ne manquerait pas de déplaire aux actionnaires… Ce contexte fortement concurrentiel pourrait donc expliquer la nervosité de Schering à l’égard des associations, avec lesquelles il considérerait « ne pas avoir de temps à perdre ».

Une promesse d’amendements

A l’heure où nous écrivons, soit un mois et demi après le début des débats entre laboratoire et associations, face au mécontentement persistant des associations des pays concernés (France, Italie, Portugal…), le laboratoire semble infléchir sa position. Dans un courrier destiné aux investigateurs, il « recommande » de nouveaux critères d’inclusion et d’échec plus en accord avec les demandes des associations, mais ne les rejoignant toutefois pas complètement (voir ci-contre) : en particulier, le fait d’atteindre une charge virale indétectable entre le 3e et le 4e mois de traitement n’est toujours pas considéré comme une nécessité par le laboratoire. Ce dernier a par ailleurs promis d’amender le protocole dans un avenir proche, mais indéfini, afin d’intégrer ces nouveaux critères d’inclusion et d’échec. Alors les associations s’interrogent : faut-il se fier à cette promesse tardive, non encore effective, sans valeur rétroactive et probablement guidée par l’unique souci d’éviter le blocage [[Le laboratoire a insisté pour que les investigateurs ne retardent pas les inclusions de patients dans l’attente des amendements au protocole. ]] ? D’autant que Schering persiste à ne pas vouloir communiquer la liste des investigateurs impliqués dans l’essai. Un tel entêtement n’inspire guère confiance, surtout de la part d’une firme dont les actes récents témoignent d’un manque patent de déontologie [[Sans avoir l’exclusivité en ce domaine, Schering cumule particulièrement les lourdes amendes : en 2002, pour la fourniture de médicaments anti-asthmatiques défectueux (ce qui a d’ailleurs été mis en lien avec le décès de 17 personnes asthmatiques) ; cette année, pour escroquerie à l’égard du programme américain d’aide aux démunis Medicaid… Et d’autres investigations sont en cours concernant des pratiques marketing douteuses.]]

Critères d’inclusion du protocole P03802 évaluant la dose optimale de SCH 690 chez les naïfs

– Age ? 18 ans – N’avoir jamais pris de traitement antirétroviral – CD4 ? 50 – ARN VIH ? 5000 – Phénotype : souches CCR5 uniquement – Pas d’antécédent de pathologie neuropsychologique – pas de co-infection VHB ou VHC Dans sa lettre aux investigateurs, Schering recommande d’exclure les patients ayant moins de 150 CD4/mm3 et de ne pas « inclure d’office » les patients ayant plus de 400 CD4/mm3 ou une charge virale supérieure à 100 000 copies/mL.

Critères d’échec impliquant la sortie de l’essai

– Ne pas avoir une baisse de charge virale de 1 log à la 8e semaine – Intolérance à Combivir – Apparition de souches virales CXCR4 – Augmentation de l’intervalle QT – Survenue de crises convulsives Les modifications consenties par le laboratoire dans sa lettre aux investigateurs concernent la baisse de la charge virale qui doit être d’au moins 1 log à la 4e semaine de traitement.

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