Le programme de travail 2009 du Ministère de la Santé et des Solidarités pourrait bien susciter des motivations, voire même des candidatures spontanées parmi malades, handicapés et associatifs ! ». Nous participons au comité de suivi du « Plan national d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladie chroniques 2007-2011 » depuis plus d’un an, l’occasion en cette nouvelle année de faire le point.
Ce comité est composé de 87 représentants institutionnels et associatifs, répartis en quatre groupes de travail[[Le comité c’est aussi constitué en 4 groupes de travail (Act Up-Paris participe aux groupes 1 et 3) :
– Programmes d’accompagnement des patients et éducation thérapeutique (Développer et encadrer les différents programmes proposés aux patients atteints de maladies chroniques : les programmes d’accompagnement directement inspirés des programmes de disease management anglosaxons ; les programmes d’éducation thérapeutique ; et les programmes d’apprentissage des traitements conçus par certains laboratoires pharmaceutiques).
– Rôle des « aidants » et acteurs de santé (Améliorer la coordination médicale et médico-sociale en tenant compte des besoins des patients).
– Accompagnement social des patients (Eviter la précarisation des patients déjà en situation de vulnérabilité, améliorer leurs conditions sociales et favoriser leur insertion professionnelle).
– Approche régionale et proximité avec le terrain (Déclinaison des mesures au plan régional et local)]], dont le groupe 1, centré sur l’éducation thérapeutique qui nous intéresse ici.
Caricature ou bel exemple ?
Les premières réunions, en novembre et décembre 2007, se tenaient en séances plénières, c’est-à-dire avec tout ce que le monde de la santé peut avoir comme institutions, administrations, ordres professionnels, sociétés savantes, associations, etc. Lors de la première réunion fin 2007, nous découvrons l’étendue et la profondeur des décisions prises par le Cabinet, sans aucune consultation. L’Etat espérait imposer tous les thèmes de travail, le nombre de groupes et comptait désigner d’office et sans discussion, tous les responsables de ces groupes, médecins, cela va de soi.
Ce rapport de force a immanquablement allumé la mèche de nombreux brasiers. La première réunion de la saison, sous la « Coupe » de la DGS, a donc été inaugurée par un match épique et mémorable : la première mi-temps « façon Clash » a opposé la sautillante équipe du Ministère, face au pack de rugby des malades, refusant un handicap supplémentaire. Comme le reste du comité n’osait pas se jeter à l’eau, finalement des soignants et hospitaliers nous ont rejoint dans la mêlée, les mains dans le cambouis. Nous avons protesté énergiquement, certains allant même jusqu’à menacer de quitter le comité.
Démocratie directe au ministère ?
Cet éternel manque de considération des associations, de la part d’institutionnels ministériels, qui ont tôt fait de se draper d’un geste de manche, trouvant toujours nos réactions « excessives », nous use. Cela nous a mené à une bonne explication de fond sur les enjeux de pouvoir, suivie de négociations musclées, pour se terminer par une « retombée du flan ». Ce qu’il faut en retenir, c’est que finalement, sous la pression les résultats sont là : un quatrième groupe de travail a été constitué sur le thème sensible des droits sociaux, et de plus, chaque groupe est maintenant co-présidé par un membre associatif élu et un membre soignant, désigné par le ministère.
C’est avec l’ensemble des représentantEs, aussi réputéEs que brillantEs, toute cette « flotte d’experts », que le comité a été un bel exemple vivant de ce que peut être la relation tendue, d’unE malade exigeantE face à unE médecin déterminéE. Il suffit de voir comment le manque évident de préparation de ce comité, nous a amené à reproduire inconsciemment toutes les étapes d’un programme pédagogique d’éducation thérapeutique. Comme quoi, l’auto-support et la démocratie directe, nos outils logistiques de base, restent redoutablement efficaces en cas de conflits d’experts lancés en roue libre, et de surcroît au ministère de la Santé.
Certains ont même vu dans ces réussites, un début de reconnaissance mutuelle. Alors serions-nous à l’aube d’un réel groupe de travail commun entre soignantEs, soignéEs, administratifVEs et décideurSEs ?
Discours de sourdEs
En plus de vingt ans de lutte contre le VIH, les associations de malades ont dû apprendre à se faire respecter. Si maintenant l’Etat est obligé de nous avoir autour de la table, il n’essaye pas moins de prendre les décisions sans nous. Comme la suite le prouvera, les médecins pensent connaître les malades, mais la grande majorité d’entre eux ne connaissent pas les associations et leurs compétences. Malgré ce départ difficile, aujourd’hui nous sommes tous agréablement surpris du chemin parcouru et des progrès essentiels dans la constitution du groupe, la reconnaissance de chacun et la qualité du dialogue et du travail commun, en sachant bien-sûr, que le cabinet continue à naviguer à vue, sans les malades et les associatifs, mais pas seulement hélas !
Parmi touTEs les expertEs de l’éducation thérapeutique, pas unE seulE ne représente spécifiquement la profession infirmièrE, sous prétexte que le ministère était en cours de négociation avec les différents syndicats pour la « fameuse » création de l’Ordre national des infirmièrEs. Pourtant aujourd’hui dans le soin hospitalier, les infirmièrEs sont vraiment les grands acteurs/actrices, piliers de l’amélioration de la qualité de vie des malades chroniques. Ce grand projet d’Ordre national a dû prendre l’eau entre temps, vu la générosité de l’Etat en matière de rémunérations, et surtout vu le désordre régnant en termes de reconnaissance institutionnelle pour tout ceux et celles qui, nuit et jour, courageusement, s’occupent de nous, malades.
Faut casser le cochon ?
750 millions d’euros à distribuer sur 5 ans, c’est un budget conséquent pour une première amélioration, du moins en apparence. C’est la première fois que l’Etat met autant de moyens financiers pour améliorer la qualité de vie des malades chroniques et dans les associations, nous l’avions toujours exigé. En effet, ce budget concerne tous les malades chroniques. Or d’après les enquêtes, nous serions à peu près 14 millions en France aujourd’hui[[Chiffres-clés : les maladies chroniques touchent 15 millions de personnes atteintes plus ou mois sévèrement soit 20 % de la population française. Leur évolution et leurs conséquences restent largement tributaires de l’accès des malades à une information et à une prise en charge adaptée. Elles sont à l’origine de 60 % des décès dont la moitié survient avant l’âge de 70 ans. Parmi elles, 7,5 millions de personnes sont plus sévèrement atteintes et disposent d’une prise en charge en affection de longue durée (ALD = prise en charge à 100 %). Les simulations réalisées estiment que 10 millions de nos concitoyens pourraient entrer dans ce régime d’ici 2010.]] : asthme : 3,5 millions, bronchite chronique : 3 millions, maladie rares : 3 millions, diabète : 2,5 millions, insuffisance rénale chronique : 2,5 millions, maladie de Alzheimer : 900 000, psychose : 890 000, etc, dont 7,5 millions en Affection longue durée (ALD), l’ex-100% d’avant la loi sur les franchises. Au final, tout cela ne représente donc que 10 euros par malade et par an. Ce programme a peut être prévu pour améliorer la qualité de vie des malades chronique de s’occuper de la peinture des salles d’attente, à ce prix-là du moins ou sinon, il va devoir faire des choix vraiment draconiens.
Voilà bel et bien ce qui justifie notre implication et une participation active des associations pour que le budget envisagé ne serve pas, comme nous l’avons vu, à améliorer la qualité de vie professionnelle des médecins. Combien de budgets initialement fléchés sur l’éducation thérapeutique n’ont finalement servi qu’à créer un poste supplémentaire ou acheter du matériel ? Il y a Justement un groupe qui se fait relativement discret, c’est celui des représentantEs des directeurs/trices d’hôpitaux, celui de l’AP-HP, celui des responsables de qualité, etc.
Au suivant !
Nous avons été fierEs de participer à la première réunion du sous-groupe sur les financements, un des nerfs de la guerre. Lors de cette réunion nous avons touTEs pu exprimer nos espérances et nos craintes, et étions sortiEs de ces 4 heures de travail confiantEs et enthousiastes. D’autant plus satisfaitEs que l’année de travail précédente avait porté sur des questions de formes plus que des questions de fond. La réunion suivante, prévue deux mois plus tard a été annulée une semaine avant, sans explications et sans qu’aucune date de report n’ait été fixée, à croire que nos propositions initiales n’était pas du goût de touTEs. Depuis, les questions de financement restent en suspend ou doivent être gérées dans d’autres lieux, à un autre échelon, ou ailleur… nous n’en savons guère plus.
Savourons cette dégustation
Dans le budget initial du plan national, il est prévu une somme de 100 000 euros pour la création d’un site internet. Il s’agirait d’un véritable portail numérique consacré aux maladies chroniques. Très bonne idée qui a plusieurs fois été l’objet de questions précises. D’ailleurs le plan prévoit même son contenu en détail : Ce portail sera consultable d’ici fin 2007 sur le site web du ministère. Il intègrera : un volet « information » sur les maladies chroniques, soit sur le site, soit par des liens avec d’autres sites existants ; un volet « éducation du patient » sur l’offre de services éducatifs sur un territoire de santé ; pour être pris en charge à proximité de son domicile ; un volet « social » sur les droits et aides pour les personnes souffrant de handicaps liés aux maladies chroniques ; et un volet « épidémiologie » fournissant les données et indicateurs par maladie.
En cherchant bien, on peut retrouver le portail sur le site du ministère. Avec un peu d’aide c’est mieux : www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr A cette page, il est possible de trouver tous les documents de travail du comité depuis sa création.
Des fuites au cabinet ?
Nous sentons sans arrêt dans ce gouvernement, plus que dans les précédents, une pression acharnée qui amène Roselyne Bachelot à prendre des initiatives et à imposer des décisions du jour au lendemain, sans même consulter les groupes compétents en la matière. Ainsi, quand elle a confiée une mission à Christian Saout et deux médecins pour rédiger un rapport sur l’éducation thérapeutique, les associations de lutte contre le sida ont eu tôt fait de l’apprendre. A la réunion suivante quand nous avons demandé des précisions sur ce point, nous nous sommes rendus compte que personne dans le comité d’expertEs n’était encore au courant de cette initiative ministérielle, personne y compris même les représentantEs du cabinet, gênés aux entournures. Cette inquiétude partagée par touTEs, limite l’utilité réelle de notre travail commun : être sur un strapontin pour cautionner l’écrasement des soins publiques ou participer activement à une évolution majeure de notre système de soins ?
D’autre part Roselyne Bachelot-Narquin a clairement précisé à ce comité, mais aussi dans son projet de Loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), qu’il faut impérativement développer des structures de proximité pour que l’éducation thérapeutique se rapproche des patientEs. A ce titre, nous rappellerons qu’elle a vanté, dans de nombreux discours, les mérites incontournables des maisons de santé, ces outils de l’avenir face à la pénurie de médecins et au manque de motivation. Pourtant les budgets sont toujours attendus sur le terrain, comme par exemple à la Case de Santé à Toulouse…
Guerre de lobby, conflit pour l’indépendance
Nous voyons bien l’acharnement des lobbyistes pharmaceutiques pour arriver à leurs fins, malgré différents échecs. Il y a eu les deux premiers rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) :
– en septembre 2006 : « améliorer la prise en charge des maladies chroniques : les enseignements des expériences étrangères de « disease management », 210 pages ;
– puis en décembre 2007 : « encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques », 96 pages.
Ensuite Xavier Bertrand a nommé Nicolas About, sénateur centriste des Yvelines, pour passer un projet de loi et auditionner les expertEs. Lors des discussions de la « petite loi », des points alarmants ont été relevés et écrits noir sur blanc, comme le fait de remplacer le terme « établissement pharmaceutique », par « entreprise »… De plus, l’Etat proposait de « s’autoriser » la possibilité de légiférer simplement par ordonnances sur la santé publique. L’enjeu de ces discussions parlementaires était de faire reconnaître à l’industrie pharmaceutique, une compétence à pouvoir gérer des programmes « d’apprentissage des gestes techniques », y compris même en relation directe avec des malades chroniques, mais à la condition exceptionnelle « qu’un bénéfice particulier et important puisse en être tiré ». Sous la pression des associations, ce projet de loi a été abandonné.
A plusieurs reprises Roselyne Bachelot-Narquin a participé à des réunions plénières du comité afin de rassurer les parties en conflit, et a fait part de sa volonté que ce comité puisse réellement travailler en toute indépendance. A une question posée par Aides sur le rapport de l’IGAS, elle a déclaré de manière ferme et appuyée : « De mon point de vue personnel, les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas des acteurs en éducation thérapeutique et en accompagnement des malades et donc ils n’ont pas leur place dans ce comité. Je suis intransigeante là-dessus et j’y veillerai ! ». Tout ça n’était que parole puisque dans le compte-rendu suivant pas un seul de ses mots n’y est, « elle parlait alors en son nom propre seulement », nous a-t-on répondu ! Des intérêts financiers colossaux sont en jeu, l’actuel gouvernement n’est pas près de lâcher prise. La crainte lors des discussions du projet de loi Bachelot-HPST, inscrites à l’Assemblée Nationale à partir du 10 février de voir une proposition gouvernementale pour faire passer un décret ou un arrêté, voire même essayer le passage en force est réel.
Nous voyons bien que le comité de suivi sur la qualité de vie n’a pas de réelle force législative puisque malgré les bonnes volontés orales de la Ministre, l’industrie a toujours une autoroute devant elle pour améliorer son marketing acharné sur des « malades-otages » qui subiront ces programmes. L’art de paraître plutôt que de s’engager, c’est peut-être en ça que ce gouvernement est devenu pire que l’industrie pharmaceutique.
Reconnaissance en vue ?
La première année de travail pour le groupe éducation thérapeutique a été consacrée à l’audition de médecins et de personnels soignants présentant des programmes structurés d’éducation thérapeutique dans différents champs des maladies chroniques. S’en sont suivies les auditions de pharmacienNEs, infirmierEs de soins de suite, assistantEs sociaux. Et contrairement aux premières auditions de médecins, les professionnelLEs entenduEs dans cette deuxième vague ont touTEs, sans exception, défendu le rôle essentiel des associations dans la conception et l’implication de leurs programmes. A notre grande surprise, l’année de travail 2009 sera consacrée à la présentation de programmes associatifs d’éducation thérapeutique, d’accompagnement et de soutien aux soins. Au delà du clivage soignantE/association présent au début de notre travail commun, l’éducation thérapeutique est bien une démarche pédagogique reconnue par la majorité des acteurs & actrices de ce comité.
Dans le dossier de presse d’annonce officielle du plan national présenté par Philippe Bas, le 24 avril 2007, il n’est prévu, en guise de ligne de crédit[[Budget : ce plan regroupe des financements d’un coût total sur cinq ans (2007-2011) de 726,7 millions d’euros (dont 10,6 millions au titre de la loi de finances et 716,1 millions au titre de la loi de financement de la sécurité sociale). Sur ce plan, 135,7 millions d’euros ont été attribués en 2007. ]] aux associations, qu’une simple mention : « pas de surcoût identifié », ce qui correspond à environ … à zéro euro. L’Etat pense peut-être que les associations font de l’accompagnement de malades juste pour leur plaisir ? A moins qu’il pense que ce budget pourrait servir de caution et être une reconnaissance trop évidente des compétences que possèdent les associations de malades ?
Pourtant c’est bel et bien de cela qu’il s’agit. Au cœur de cette bataille éthique et historique en santé publique, ce sera une incontournable épreuve de force pour faire valoir nos compétences et obtenir enfin une reconnaissance. Ce n’est qu’à ce prix que nous, malades et expertEs de nos maladies, pourrons prétendre dignement, non plus à des subventions associatives au compte-goutte, mais à de réels métiers avec des salaires reconnus. C’est peut être l’occasion de rappeler à ce gouvernement, qu’il a enclenché ce processus avec leur formule : « retour au travail des handicapés ».
Pour nous et par nous !
Nous ne cessons de marteler l’importance du rôle des associations de malades, de plaider pour la reconnaissance de nos compétences et de nos expériences face à certains ténors qui pensent que nous nous contentons de tenir la main des malades. D’autres revendiquent une professionnalisation de l’éducation thérapeutique faite par les médecins à l’hôpital. Mais nous savons bien que la partie délicate et sensible de l’éducation thérapeutique est faite surtout par les infirmierEs et les médecins généralistes de proximité. Vu le régime de sur-pression et de rentabilité imposé par la T2A [Tarification A l’Activité] et la facturation à l’acte, quelLE médecin hospitalier pourrait aujourd’hui prétendre avoir le temps nécessaire pour se consacrer attentivement à l’éducation thérapeutique de ses patientEs ?
Il reste encore à faire reconnaître spécifiquement toutes les compétences que les associations de malades ont pu développer : les groupes de paroles, l’autosupport, l’empowerment, le counselling, le/la patientE-formateur/trice, la médiation en santé publique, etc. Ce sont aujourd’hui des techniques tout aussi essentielles à la santé publique. A la différence des soignantEs, nous n’avons pas les moyens de mettre en place des études scientifiques contrôlées, publiées dans des revues internationales référencées, comme cela a été le cas pour l’éducation thérapeutique depuis les années 70. Il nous reste donc à défendre nos réalisations, nos secrets et trésors chèrement acquis.
Si vous faites partie de ces expertEs dans l’art d’accompagner ou de rattraper des malades chroniques et que vous avez de l’expérience pour présenter un programme, alors n’hésitez pas, contactez-nous en précisant : « QdV 2009 » dans le titre de votre email adressé à coinfection AT actupparis.org et nous ferons suivre aux co-présidents de ce groupe : Hicham Mghafri de AIDES et le Pr François Bourdillon. Les meilleurs propositions sont attendues pour tous les types de programmes spécifiques d’accompagnement thérapeutiques des malades chroniques.
Ne tardez pas car l’année 2009 est pleine de promesses. On vous l’avait bien dit, non ?