En décembre 2002, l’OMS estime que dans le monde, la moitié des adultes séropositifs sont des femmes. En Afrique subsaharienne, le nombre de femmes infectées est même supérieur à celui des hommes : elles représentent 58% des adultes séropositifs.
En France, au 31 mars 2002, 26% des nouveaux cas de sida sont des femmes. En 1998, sur l’ensemble des cas de sida, on comptait 1 femme touchée pour 2,8 hommes, contre 1 femme pour 5 hommes au début des années 90. Au 1er semestre 2001, parmi les 15/29 ans ayant découvert leur séropoistivité, 62% étaient des femmes.
Alors que de toute évidence l’anatomie, le poids, la masse graisseuse, le statut hormonal et immunologique sont différents entre les hommes et les femmes, il est primordial de connaître l’impact de ces différences sur l’histoire naturelle de la maladie, l’efficacité, le métabolisme et les effets indésirables des antirétroviraux, sachant que, dans l’état actuel des connaissances, ces médicaments doivent être pris à vie.
Les trop rares recherches effectuées montrent que les femmes ne progressent pas plus vite que les hommes vers le stade sida. Cependant, leur charge virale plasmatique est 2 à 3 fois plus faible, à stades égaux de l’infection. Elle pourrait de plus varier pendant le cycle ovarien mais la signification de ces différences n’est pas connue.
effets plus que secondaires
Si les femmes répondent aussi bien que les hommes aux multithérapies, les effets indésirables sont différents. Ainsi :
– la fréquence des effets secondaires est globalement plus importante chez les femmes. Les rares études pharmacocinétiques montrent qu’elles sont surexposées aux antirétroviraux, les molécules antirétrovirales étant testées essentiellement chez des hommes, dont le poids est en moyenne plus élevé que celui des femmes.
– les lipohypertrophies (accumulation de graisses au niveau du tronc) atteignent plus les femmes, contrairement aux lipoatrophies (perte de graisses au niveau des membres). Il faut savoir que ces troubles de la répartition graisseuse entraînent la masculinisation de leur silhouette.
– les triglycérides sont plus élevées chez les femmes sous traitement alors que le rapport LDH (mauvais cholestérol) / HDL ( bon cholestérol) est le même que celui des hommes. L’impact des antirétroviraux sur la fonction cardio-vasculaire entraîne la perte de la protection naturelle qu’elles possèdent avant la ménopause. Ces résultats de la recherche, même s’ils ne sont que partiels, permettent d’élaborer une prise en charge plus adaptée des femmes séropositives.
– l’acidose lactique est plus fréquente chez les femmes, surtout en cas d’obésité. Elle correspond à une augmentation du taux d’acide lactique (sous forme de lactates) dans le plasma sanguin et démontre un disfonctionnement des mitochondries (source d’énergie des cellules).
– une étude américaine, présentée lors de la conférence de Barcelone, a montré que la densité minérale osseuse chez des femmes séropositives était significativement inférieure à celle de femmes séronégatives. Rappelons que les femmes ménopausées sont naturellement sujettes à la déminéralisation osseuse, mais que la seule étude, réalisée en France, sur les troubles osseux consécutifs à la prise d’antirétroviraux n’a inclus que des hommes !
comparaison
Les interrogations concernant les différences entre hommes et femmes sont donc pertinentes puisqu’elles ont déjà montré que :
– les femmes sont 7 fois plus sensibles aux éruptions cutanées sous névirapine,
– le ddI entraîne 3 fois plus de réactions indésirables chez les femmes,
– le ritonavir provoque plus de fourmillements autour de la bouche chez les femmes (mais davantage de diarrhées chez les hommes).
Quand on sait que le système hormonal est fondamentalement différent entre les hommes et les femmes, il serait important de s’y intéresser. Problème encore plus récurrent pour les femmes co-infectées par le VIH et le VHC. Les femmes étant prédisposées aux dérèglements thyroïdiens et le traitement de l’hépatite C par Interféron comportant parmi ses effets secondaires des risques d’atteinte thyroïdienne, indépendamment du sexe, ces risques sont de ce fait, accrus pour les femmes.
quant à la gynécologie,
– certaines infections génitales sont plus fréquentes et plus récidivantes, plus compliquées à soigner chez les femmes séropositives que chez les femmes séronégatives. Citons les candidoses, l’herpès, et surtout les infections à papillomavirus, facteurs du cancer invasif du col de l’utérus,
– certains antirétroviraux sont transformés dans l’organisme par le foie. Il en est de même pour les oestrogènes de synthèses, hormones que l’on trouve dans certains contraceptifs oraux, ainsi que dans le traitement hormonal substitutif de la ménopause. Il existe ainsi des risques théoriques entre ces antirétroviraux et les oestrogènes de synthèse. Ces interactions provoquent ainsi, soit une baisse d’efficacité du moyen contraceptif et / ou des antirétroviraux, soit une augmentation de la toxicité de ces derniers.
vers une action coordonnée ?
En 2001, l’ANRS a constitué un groupe de travail intitulé « Les enjeux spécifiques de l’infection VIH chez les femmes ». Le premier constat de ce groupe fut qu’un grand nombre d’inconnues sur les questions spécifiques de la femme séropositive apparaissaient tant dans la recherche que dans les essais. La mission dU groupe était dans un premier temps de faire un récapitulatif de l’état de la recherche sur ces femmes, puis de faire ainsi émerger les problèmes spécifiques de l’infection VIH qui pourrait donner lieu à des projets de recherche.
de la recherche à la pratique
Le rapport Delfraissy, intitulé « Prise en charge des personnes infectées par le VIH », est un recueil de recommandations destiné aux médecins, aux associations et aux patients. En 2002, pour la première fois, apparaît enfin un chapitre « Femmes et VIH », distinct de celui consacré à la grossesse.
Plusieurs points importants émergent :
– la charge virale plasmatique est différente entre les hommes et les femmes mais ne doit pas avoir d’impact sur le moment de l’instauration du traitement, celui-ci étant basé sur le taux de CD4.
– le suivi gynécologique est capital, et à un rythme plus soutenu encore que pour les femmes séronégatives. Un frottis doit ainsi être réalisé tous les ans si le taux de CD4 est supérieur à 200/mm3, et deux fois par an en cas d’antécédents de lésion utérine, de frottis anormal, ou encore si le taux de CD4 est inférieur à 200/mm3,
– la prise de contraceptifs oraux à base d’éthinyl-oestradiol par une femme sous traitement antirétroviral pose deux types de problèmes. D’une part, ce composé peut interagir avec certains antirétroviraux. D’autre part, il est déconseillé voire contre-indiqué en cas de troubles du métabolisme glucido-lipidique, troubles que peuvent, par ailleurs aggraver les antirétroviraux. Il peut être alors nécessaire d’adapter son dosage.
– lors de la ménopause, les femmes sont naturellement sujettes à une déminéralisation osseuse, ainsi qu’à des troubles cardio-vasculaires. Ces mêmes troubles pouvant également être provoqués par les antirétroviraux, le traitement hormonal de substitution est tout à fait indiqué. Il est cependant préférable d’administrer ce dernier par voie locale (patchs, crèmes,…) et éviter ainsi d’éventuelles intéractions médicamenteuses avec les antirétroviraux puisque ces traitement sont normalement métabolisés par le foie.
– un suivi particulièrement attentif de la fonction cardio-vasculaire doit être effectué et la surveillance des éventuels dérèglements lipidiques accrue.
dosages essentiels
Certains médecins passent outre l’absence de données sur les posologies des antirétroviraux chez les femmes, et adaptent les doses de ces traitements au poids des patientes. Cette pratique doit se généraliser. C’est aussi pour cela que les dosages plasmatiques des médicaments sont d’une grande importance. Cet examen par lequel on évalue la quantité d’un médicament présent dans le sang est pratiqué afin de corriger une trop faible ou trop forte concentration du produit, en cas d’intolérance, de toxicité, et également pour contrôler la régularité des prises. Le dosage plasmatique trouve sa place chaque fois que des interactions médicamenteuses sont possibles, lors de l’initiation d’un traitement, ainsi qu’en cas d’échec thérapeutique.