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Alors que l’attention internationale est braquée depuis deux mois et demi sur la guerre qui se déroule en Afghanistan et que des moyens considérables sont consacrés à ce conflit, nous manifesterons le 1er décembre pour qu’une autre guerre ne soit pas plus désertée qu’elle ne l’est déjà : la lutte contre le sida.

En quelques semaines, les Etats-Unis et leurs alliés ont déployé l’arsenal qu’ils refusent depuis vingt ans pour combattre la pandémie. Ils ont montré que la mobilisation, pour peu que l’on décide qu’elle doit être une priorité, est possible. Pourquoi continuer à ne rien faire, ou si peu, et ne pas déclarer la guerre au sida ?

Cette guerre n’est ni une guerre de conquête ni une guerre impérialiste. C’est une guerre de résistance ; résistance contre une maladie qui tue et contamine tous les jours, sans que les moyens soient suffisants pour l’enrayer.

Cela fait maintenant douze ans qu’Act Up-Paris est en guerre, douze ans qu’Act Up-Paris appelle à la mobilisation générale contre le sida. Et cette guerre est loin d’être finie. Au contraire, de nouveaux fronts s’ouvrent, d’anciens demeurent.

Une guerre mondiale

Plus de 36 millions de personnes sont aujourd’hui atteintes par le virus du sida, dont 27 millions en Afrique subsaharienne. La quasi-totalité de ces personnes n’a encore aujourd’hui accès à aucun traitement.

Pour que cessent de mourir du sida 10 000 personnes par jour, les pays du Sud doivent pouvoir produire, importer et exporter des médicaments génériques à moindre coût.

Depuis plus d’une décennie, les Etats du Sud subissent les pressions des laboratoires pharmaceutiques, soutenus par les pays riches, les empêchant de produire ou d’importer les copies de médicaments brevetés dont ils ont un besoin vital. La conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui s’est tenue à Doha du 9 au 13 novembre, a certes enfin reconnu aux gouvernements des Etats membres la liberté de produire et d’importer des versions génériques des médicaments.

Mais la situation reste bloquée : l’autorisation d’exporter vers les pays qui ne disposent pas de capacités de production a été refusée par les pays riches. De fait, la déclaration de Doha ne lève pas la barrière de l’accès aux médicaments génériques, et la majorité des malades du sida n’aura toujours pas accès aux traitements dont elle a un besoin vital.

Pour que cessent de mourir du sida 10 000 personnes par jour, les pays riches doivent financer massivement la prise en charge, y compris thérapeutique, des malades du sida vivant à travers le monde.

Aujourd’hui, la guerre contre le terrorisme reçoit trente fois plus d’argent que la guerre contre le sida. Depuis l’annonce par Kofi Annan de la mise en place d’un Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et la malaria sur la base d’un montant de 10 milliards de dollars US, les pays donateurs n’ont pour l’instant accordé qu’un milliard et demi de dollars US. Cette somme ne permettra pas de s’attaquer de front à ces trois maladies. Il faut que les états du Nord concrétisent leur engagement par des apports financiers conséquents. De plus, la faible part du budget du Fonds mondial affectée au sida devrait servir à financer uniquement des programmes de prévention. Des programmes d’accès aux traitements anti-VIH doivent être financés prioritairement par ce Fonds.

Guerre contre l’inertie des pouvoirs publics

Faire la guerre au sida, c’est empêcher de nouvelles contaminations ; c’est assurer des conditions de vie optimales pour les malades ; c’est lutter contre les discriminations qui font le jeu de l’épidémie ; c’est combattre les logiques incompatibles avec une vraie politique de santé publique : la logique de profit de l’industrie pharmaceutique, l’idéologie sécuritaire qui précarise des populations entières, l’ordre moral qui empêche toute véritable prévention.

Les pouvoirs publics sont loin de mener cette guerre. Gouvernements, parlementaires, administrations et institutions doivent aujourd’hui prendre la mesure de leur responsabilité.

Guerre pour une réelle prévention

Le gouvernement refuse d’adopter une politique efficace de prévention afin de remobiliser le grand public contre le sida.. Aujourd’hui, l’épidémie reprend chez les homosexuels ; elle continue de se développer chez les hétérosexuels, notamment les femmes ou les migrants.

Alors même que la vigilance face au VIH ne cesse de diminuer, le Premier Ministre a jugé opportun d’interdire cet été des spots de prévention qui parlaient explicitement de pratiques sexuelles, incitaient clairement au dépistage et à l’utilisation des préservatifs. Par cet acte de censure, le gouvernement s’est rendu complice de l’épidémie. Il aura des comptes à rendre sur les nouvelles contaminations.

Lutter contre le sida, c’est se donner toutes les armes pour une réelle prévention :
– Des campagnes dans les médias grand public, ciblées, constantes et sans fausse pudeur.
– La promotion de nouveaux outils de prévention, comme le Femidom. Cette alternative efficace au préservatif classique reste peu disponible, et est surtout trop cher. Les pouvoirs publics doivent en assurer une diffusion massive et à moindre coût.
– Des actions de prévention au sein de l’Education Nationale, du début à la fin de la scolarité. La prévention du sida n’est imposée qu’au cours de deux heures d’éducation à la sexualité, en 4ème – 3ème. Le système scolaire peine encore à parler aux enfants et aux adolescents d’orientation et de pratiques sexuelles, des risques qui y sont liés et des moyens de se protéger.
– Un système épidémiologique fiable et dynamique. En France, nous ne connaissons toujours pas le nombre précis de personnes séropositives. Le gouvernement n’a toujours pas mis en place la Déclaration Obligatoire de Séropositivité (DOS) qui permettrait d’établir un suivi épidémiologique efficace. La France est encore un des seuls pays d’Europe à n’avoir pas adopté ce dispositif. La DOS, validée par les associations et le Conseil d’État en juin 2000, doit être effective en janvier 2002 comme le gouvernement s’y est engagé.

Guerre pour les droits des malades

A l’hôpital, les problèmes s’accumulent. Les services VIH saturés refusent de nouveaux patients, comme à Gonesse, dans le 95, ou ne sont plus capables d’assurer une prise en charge de qualité. L’hôpital devrait être une des priorités de ce gouvernement. Mais c’est toujours une logique budgétaire qui prime, et qui se traduit par un refus d’allouer des crédits en urgence, et des  » restructurations  » en nombre, notamment des diminutions des lits-sida et du personnel dans les services des maladies infectieuses.

Dans leur vie quotidienne, les droits des malades sont constamment remis en cause.

– Les personnes pouvant travailler sont régulièrement victimes de discriminations à l’embauche, de licenciements abusifs ou de harcèlement visant à les pousser à la démission. Le droit du travail doit être renforcé, notamment pour les personnes dont la santé est fragile.

– L’accès à un revenu minimum comme l’Allocation Adulte Handicapé est de moins en moins évident pour les personnes infectées par le VIH. Les pouvoirs publics et les administrations refusent toujours de voir le quotidien des malades : fatigue, séquelles des affections opportunistes, effets secondaires des traitements, qui constituent autant de handicaps majeurs à la prise d’un emploi. L’AAH doit être garantie aux séropositifs, et son montant, comme celui de tous les minima sociaux, revalorisés.

– Les séropositifs précaires ont de grandes difficultés à trouver un appartement social. A Paris, notamment, la situation est dramatique. Dans la capitale comme ailleurs, il faut augmenter le nombre d’appartements sociaux, imposer les dossiers de personnes vivant avec l’AAH ou le RMI aux bailleurs sociaux, lutter contre les discriminations fondées sur l’état de santé, l’orientation sexuelle, l’identité de genres, l’usage de drogues, la taille de la famille, etc.

Ce sont autant de combats que les pouvoirs publics ne mènent pas actuellement. Ils devraient pourtant en faire une priorité. Comment, en effet, intégrer des réflexes de prévention, penser au dépistage ou bien se soigner, quand vos préoccupations quotidiennes sont de défendre vos conditions de travail, trouver un revenu ou un endroit pour dormir ?

Guerre au sexisme

La part des femmes dans l’épidémie est de plus en plus importante. Elles continuent pourtant à être négligées par les campagnes de prévention et par la recherche.

– Il faut des campagnes nationales de prévention qui prennent en compte le point de vue des femmes.

– Les spécificités féminines de l’infection à VIH doivent être mieux reconnues, infections opportunistes, effets secondaires, dosage des médicaments. Cela implique une présence plus importante des femmes dans les essais thérapeutiques et une méthodologie qui fasse ressortir les enjeux particuliers des traitements chez les femmes.

La guerre oubliée : la coinfection aux virus des hépatites

Depuis 15 ans, les personnes coinfectées par le VIH et par une hépatite virale chronique ont été totalement délaissées par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, elles sont les premières à mourir. Jusqu’à quand le gouvernement négligera-t-il cette guerre spécifique ?

Guerre au sida, pas aux usagers de drogues

Les pouvoirs publics prônent une politique de prohibition et de répression, et maintiennent un cadre législatif qui empêche toute information réaliste sur les produits. La loi de 70 doit être abolie : elle constitue un frein à une politique de prévention efficace et contribue à l’entretien d’un climat de guerre à la drogue excluant les usagers de la vie publique .

Par ailleurs, l’Etat se désengage de plus en plus des programmes de réduction des risques. Sur la somme totale consacrée aux drogues en France, seuls 40% servent à la prévention, à la recherche et aux soins, alors que 60% sont dévolus à l’application de la loi. Il n’y a toujours en France ni de programmes de salles d’injection à moindres risques, ni de programmes d’échange de seringue. Ce type de structures permet de réduire considérablement les risques de contamination. Les exemples européens le confirment. Dans de telles conditions, il est inadmissible qu’une ville comme Paris ne soit pas encore doté d’un programme de salles d’injection à moindre risque.

Guerre au sida, pas aux détenus

La privation de liberté devrait être considérée comme ultime recours. Elle demeure l’unique solution avancée par les gouvernements successifs pour répondre à un certain «désordre social». Les méthodes d’enfermement ont fait la preuve de leur inefficacité. Pourtant au lieu d’envisager des alternatives à l’incarcération, on enferme en France plus de personnes et de plus en plus longtemps. Les alternatives à l’incarcération doivent être systématiquement utilisées, l’enfermement doit désormais être exceptionnel.

Le gouvernement doit libérer immédiatement des populations entières incarcérées du fait d’une politique pénale aberrante : les usagers de drogue, les étrangers en situation irrégulière, les prostituéEs, entre autres.

La prison est incompatible avec les maladies. Les personnes atteintes de graves pathologies, comme le VIH ou le cancer, doivent être inincarcérables. Dans l’urgence, il faut une réforme immédiate du système des grâces médicales, qui ne sert actuellement qu’à faire sortir les détenus en fin de vie, pour faire baisser les statistiques de mortalité en détention.

Aujourd’hui, au lieu de vider les prisons, on en construit. Le gouvernement justifie sa nouvelle politique d’enfermement par la mise en Å“uvre d’une incarcération plus humaine. L’incarcération n’est pas humaine et ne peut pas le devenir.

Guerre au sida, pas aux étrangers

En France, le droit à la santé des étrangers n’a cessé d’être amélioré. Dans les textes. Les étrangers atteints de pathologies graves, telles que le VIH/sida, ne sont plus expulsables et ils ont droit, en théorie, à des titres de séjour temporaire ainsi que la gratuité des soins, leur permettant de se soigner.

Pourtant les expulsions persistent et les étrangers ont de grandes difficultés à bénéficier des prestations de santé. Ainsi, ils se voient octroyer l’AME (Aide Médicale de L’État), sorte de charité qui conforte un accès aux soins à deux vitesses, au lieu de bénéficier de la CMU (Couverture Maladie Universelle), qui n’est ouverte qu’aux étrangers régularisables. Certains hôpitaux vont jusqu’à omettre de proposer l’AME à certains malades étrangers, envoyant la facture à l’hébergeant ou à un parent, afin de ne pas avoir à avancer l’argent et attendre les remboursements.

Les préfectures de leur côté (le 5ème bureau de la Préfecture de Police de Paris en tête), s’amusent littéralement avec les malades étrangers alliant cynisme et ignorance du droit. Les Autorisations Provisoire de Séjour s’accumulent, empêchant l’accès aux allocations type AAH (Allocation Adulte Handicapé) et sans autorisation d’exercer un emploi.

En bref, ce sont à des situations les plus diverses et les plus dramatiques que sont confrontés les étrangers, devant effectuer de véritables parcours du combattant pour ne pas être pillés par l’administration (facturation des soins, taxe de chancellerie, blocage des allocations, etc.).

Rappelons que si les étrangers atteints de pathologies graves ont des droits, encore faut-il savoir que l’on est séropositif et donc avoir accès au dépistage, pouvoir s’occuper de sa santé et donc ne pas être traqué par les forces de police.

Le sida ne se guérit pas. Les Ministères de l’Intérieur et de la Santé doivent mettre un terme à ce cynisme en délivrant aux malades étrangers une carte de séjour de 10 ans et en ouvrant l’accès à la CMU (par une modification législative) pour tous les étrangers sans condition. Surtout, les étrangers doivent avoir accès aux soins sans conditions de régularité ou de stabilité de résidence, qu’il soit venus pour se faire soigner ou pour une autre raison.

Guerre à l’industrie pharmaceutique

L’industrie pharmaceutique multiplie les pressions pour empêcher le développement de médicaments génériques et la pratique des exportations.

Le Brésil et l’Inde produisent déjà des versions génériques de cinq médicaments antirétroviraux à des coûts jusqu’à trente fois inférieurs. Ainsi, le producteur indien Cipla propose une trithérapie à 350 dollars US par an, quand le même traitement coûte 10 400 dollars aux Etats-Unis.

Dans la guerre que doivent mener les pays du Sud contre le sida, les laboratoires du Nord sont les adversaires acharnés de l’accès aux traitements.

L’industrie pharmaceutique refuse de mettre à disposition des nouvelles molécules.

Actuellement, entre 5 et 10 % des malades traités ne sont plus suffisamment sensibles aux traitements antirétroviraux disponibles. Depuis trois ans, nous réclamons que les laboratoires mettent à disposition de ces malades en échappement thérapeutique les molécules en cours de développement, dont l’efficacité est déjà prouvée. Jusqu’ici, ils n’ont cédé que lorsque nos exigences rencontraient leurs intérêts commerciaux.

L’industrie pharmaceutique se moque des effets secondaires des traitements, dès lors qu’ils sont sur le marché.

La réduction de la toxicité des médicaments est une urgence. Leurs effets secondaires très lourds ruinent la qualité de vie des malades, quand ils ne sont pas la cause de nouveaux décès. Les laboratoires doivent mettre en place des essais de phase IV, études à long terme sur la toxicité des molécules. Certains laboratoires ont entendu ces revendications, d’autres y restent sourds, comme le laboratoire Abbott, qui considère que ces essais ne sont pas de sa responsabilité. Les pouvoirs publics doivent contraindre l’industrie pharmaceutique à mener ces essais. Faute de quoi, ils doivent eux-mêmes les mettre en place.

Le
cas de la molécule T-20 produite par le laboratoire
Roche est particulièrement exemplaire.

Le T-20 appartient à une nouvelle famille dÂ’antirétroviraux,
les inhibiteurs de fusion, qui bloquent lÂ’entrée
du virus dans les lymphocytes CD 4. Les essais déjà
menés par la firme montrent que ce médicament
est efficace chez les malades en échappement thérapeutique,
et relativement bien toléré. Pourtant cette
molécule nÂ’est toujours pas à la disposition
des malades. Il apparaît que cÂ’est pour des
raisons strictement économiques que le laboratoire
Roche a pris la décision il y a un an et demi de
ne pas investir suffisamment pour que le T-20 soit accessible
à tous les malades en échappement thérapeutique.
Cette décision criminelle prive ces malades dÂ’une
chance de survie. CÂ’est pourquoi nous menons la guerre
au laboratoire Roche.