« Sidaïque », « sidatorium », « sida mental » : si le Front National a déployé autant d’imagination verbale autour du sida, c’est qu’il y trouve une grande puissance métaphorique.
La métaphore de tout ce qu’il déteste : pédés, toxicos, étrangers, prostituées, prisonniers, déviants et marginaux en tous genres. La métaphore de ce que nous sommes tous, dans la mesure où nous ne cadrons pas avec les normes du travail, de la famille ou de la patrie. En septembre 1994, dans un article prévisible dès le titre ( » étrangers, clandestins, sidéens « ), National Hebdo écrivait : « Ceux qui se présentent comme le fer de lance, à l’américaine, du combat contre le sida, sont en réalité membres d’une légion homosexuelle qui ne rêve que d’une chose : faire des invertis les moteurs et les modèles de la société. Act Up n’est pas une association de lutte contre le sida, c’est un syndicat qui donne dans le prosélytisme homosexuel ».
Aujourd’hui, fort d’avoir fait élire certains présidents de région, le FN dispose d’un pouvoir de nuisance qui n’est plus symbolique. On sait que les régions construisent les lycées, financent les CRIPS (Centres régionaux d’information et de prévention sur le sida), subventionnent des associations de lutte contre le sida. On sait aussi qu’elles peuvent, si elles le désirent, s’emparer de certaines compétences dans les domaines social et sanitaire. On frémit à l’idée d’une prévention auprès des lycéens inspirée des principes familialistes du FN, d’une d’information sur le sida purgée de tout prosélytisme (homo)sexuel, ou d’une politique d’accès aux soins fondée sur la préférence nationale. On pressent le genre de solution sanitaire que le FN appliquerait aux usagers de drogues, aux sans-papiers ou aux travailleuses du sexe.
S’il faut en vouloir à la droite qui s’offre au FN, il faut aussi en vouloir à cette gauche qui semble oublier, alors qu’elle défile contre lui, qu’elle lui a déjà concédé l’essentiel. Laurent Fabius avait ouvert la voie « Le Pen pose de bonnes questions mais donne de mauvaises réponses ». Aujourd’hui, c’est un ministre de l’Intérieur très républicain, pas le FN, qui expulse des sans-papiers en les ligotant dans du scotch ; c’est un ministre de la santé du PRG qui refuse de changer de politique des drogues; c’est une municipalité socialiste qui déporte les prostituées lilloises hors du centre-ville ; c’était un maire communiste qui détruit les foyers immigrés de Montreuil. Et caetera.
Si Act Up-Paris manifeste demain, c’est donc pour refuser toute forme de pouvoir au Front National : celui qu’il revendique, celui qu’il est en passe d’obtenir, mais aussi celui qu’il exerce déjà par procuration.Act Up-Paris sera présent à la manifestation contre le Front National le samedi 28 mars 1998 à 15h00 à République, sous la banderole « Act Up-Paris lutte contre le sida ».