L’Ouganda, l’un des quatre pays dans lesquels l’ONUSIDA met en place ses programmes pilotes d’accès aux traitements. Une prévalence qui avoisine maintenant les 10%. Au total près de 1 million de personnes atteintes et déjà plus de 2 millions de morts.
Que signifie l’arrivée d’une initiative de ce type dans ce pays ? Quelles conséquences cela peut avoir ; conséquences positives qu’il faut amplifier, conséquences négatives qu’ils faut identifier et dénoncer. Nous nous y sommes rendus pour être à même de le comprendre.
L’initiative a débuté il y a maintenant trois mois. Points positifs : elle a permis de mettre la question de l’accès aux traitements sur la table. Les pratiques médicales chez les médecins qui prescrivent les antirétroviraux – une maigre poignée – comme chez les patients qui ont les moyens de s’offrir ce type de traitements (meilleur suivi, plus régulier) en sont améliorées. La proximité des médicaments et le caractère officiel de ces produits limitent d’autant les trafics. Le contrôle est donc meilleur. Pourtant, les réductions de prix négociées par l’ONUSIDA avec les compagnies pharmaceutiques sont largement insuffisantes.
Actuellement le prix d’une trithérapie en Ouganda est d’environ 700 US$ par mois (comptez en plus environ 600 US$ pour les frais d’analyses, charge virale, CD4). Le salaire moyen des malades ‘moyens’ est de 50 à 200 US$. Il est clair qu’ils ne peuvent absolument pas accéder aux traitements antirétroviraux. C’est la situation de la plus grande majorité des malades ; notamment de ceux qui travaillent dans les associations. Ces malades ne peuvent souvent d’ailleurs pas se payer les traitements contre les maladies opportunistes ou contre la malaria. Alors… difficile d’espérer quoi que ce soit. Seules les personnes issues de la classe sociale la plus élevée accèdent aux antirétroviraux, et encore pour seulement une personne par famille, et les militaires qui sont pris en charge par l’armée : c’est à dire moins de 0.1% des malades.
Deux centres ont commencé à suivre des patients sous trithérapie dans le cadre de l’Initiative. Ce sont les mêmes personnes qui ont accès aux traitements qu’avant. Selon certains, il y aurait de 30 à 40 personnes de plus sous traitement.
Tout le monde parle de déception. » Les ARV sont beaucoup trop chers, il n’y a pas d’argent, ni de UNAIDS, ni du gouvernement « . ‘ Les laboratoires se font de la publicité, ils sont les seuls bénéficiaires « . Le discours des malades est assez déprimé : » On n’y rêve même pas « . Pourtant …
Pourtant, nous nous rendons bien compte que l’existence de ces programmes pilotes menés par des organismes internationaux dans les pays offre des perspectives. A plusieurs niveaux : par définition, cela représente une innovation par rapport aux programmes et politiques officiels en vigueur dans le pays, Des dynamiques inexistantes jusqu’alors sont lancées : on parle enfin de l’accès aux traitements : accès aux traitements en général, des plus élémentaires aux antirétroviraux en passant par tous les traitements contre les maladies opportunistes (les traitements contre l’herpès, les candidoses, le Kaposi, etc. qui ne sont généralement pas disponibles pour les malades).
L’indispensable coordination avec le gouvernement pour assurer la cohérence de la démarche – une coordination qui nous exigeons – peut offrir une perspective de coordination avec d’autres actions de santé publique. Le caractère international d’une opération menée par une agence des nations unies peut également amener les différents bailleurs de fonds internationaux et exécutifs de programmes, à une coordination accrue de leur action – pour autant que la société civile internationale exerce sur eux une pression suffisante, le leur rappelle et insiste sur l’engagement de leur responsabilité.
Le gouvernement, politiquement impliqué sur le sida dans le cadre de ces programmes, quand bien même il ne participe pas financièrement à l’achat d’antirétroviraux, peut être contraint à s’investir sur des volets connexes (maladies opportunistes, infrastructures, personnels). L’intervention et la présence d’acteurs internationaux (agences de l’ONU, observateurs extérieurs, activistes) créent, d’ailleurs, un contexte de visibilité de l’opération et des politiques gouvernementales. Plus les malades et les ONGs s’impliquent, meilleure peut être la transparence des travaux qui se déroulent et des décisions prises, moindre la corruption et les détournements financiers.
Dans ce contexte, les ONGs sur place bénéficient d’une plus grande marge de manoeuvre politique. Elles peuvent plus aisément qu’auparavant exercer une pression sur leur gouvernement pour obtenir son implication véritable et le renforcement de ses politiques. Les intervenants extérieurs ont, eux, à jouer un rôle de relais à un niveau international, amplifiant leurs exigences et leurs revendications.
Nous sommes réalistes : quand bien même ces initiatives se mettraient en place de la façon la plus cohérente et la plus démocratique, elles ne permettront pas dans un laps de temps réduit d’offrir des traitements antirétroviraux à tous les malades qui en ont besoin. Cependant, nous devons en tirer le meilleur avantage, nous en saisir comme d’un levier pour que l’accès à tous les autres traitements soit rendu possible, pour que les structures médicales soient renforcées, que le personnel médical soit formé, que la distribution des produits soit améliorée partout dans les pays, que les bailleurs de fonds se coordonnent enfin et appliquent des programmes cohérents, que les compagnies pharmaceutiques ne s’arrêtent pas sur leur lancée et continuent de réduire leurs prix dans ces pays, etc. Le chantier est énorme, la vigilance et l’action des malades sont plus que jamais primordiales.
Ce que nous refusons
Nous avions lancé dans le dernier Action (n°56) un appel à la mobilisation pour l’accès aux soins et aux traitements pour les malades qui viennent dans des pays où les nouvelles thérapies ne sont pas actuellement disponibles. A l’occasion de la journée mondiale contre le sida du 1er décembre nous souhaitons donner un nouvel écho à ce texte.
Nous refuserons le silence imposé par les responsables politiques, les bailleurs de fonds, tous ceux qui continuent d’ignorer la situation des malades et se cachent derrière des discours timides et inadaptés.
Chaque semaine, une dizaine de demandes de traitements nous parvient. Demandes auxquelles nous ne pouvons répondre. Des malades écrivent, téléphonent. Ce sont chaque semaine des centaines de demandes de traitements qui arrivent en France. Combien dans d’autres pays, d’autres associations ? Cette situation est inacceptable.
C’est pourquoi, la commission Nord/Sud d’Act Up-Paris a élaboré une stratégie de lobby qui, nous l’espérons, permettra de donner une plus grande visibilité aux besoins des malades et de souligner la dimension politique du problème. Elle a été présentée, le 6 octobre 1998, lors d’une réunion interassociative qui s’est tenue à Paris entre différentes associations françaises engagées sur cette question.
Cette réunion n’était qu’une première étape et la démarche que nous souhaitons engager a pour vocation de mobiliser le plus grand nombre de personnes concernées. Pour devenir une arme véritable, elle doit reposer sur une coordination efficace de toutes les personnes et associations qui souhaiteront y participer, dans les pays d’où sont originaires les malades privés d’accès aux traitements comme dans les pays occidentaux.
Le principe est simple : centraliser toutes les demandes de traitements afin de les réadresser aux responsables des institutions internationales ainsi que des gouvernements qui financent la lutte contre le sida dans le monde et persistent à refuser de s’engager véritablement sur l’accès aux traitements pour les pays en développement.
Si la mobilisation ne vient pas des malades eux-mêmes, et tant que la gravité de leur situation n’est pas perçue par ces institutions, nous resterons impuissants.
Depuis plus d’un an, nous nous heurtons aux réticences de responsables de la Banque mondiale, de l’Union Européenne, de ministres des coopérations et de la santé, de gouvernements, qui, ignorant les réalités du terrain, s’évertuent à ne vouloir financer que de la prévention et refusent de considérer l’accès aux soins et aux traitements comme une priorité tout aussi essentielle.
Les arguments mis en avant ne sont que d’ordre économique. Il y a trois mois, l’Union Européenne, le plus important bailleur de fonds sur le sida, envisageait même de diminuer de 10% son budget sida. Pendant que les budgets d’aide au développement et de lutte contre le sida ne cessent de décroître, l’épidémie, elle, explose : 30 millions de personnes contaminées il y a 10 mois, quelques millions de plus depuis. Les projections -faites en l’état des moyens mis en oeuvre- sont claires, ce sont des dizaines de millions de contaminations supplémentaires qui se produiront dans les années à venir.
Le débat archaïque qui opposait « prévention » à « accès aux traitements » est dépassé. Il apparaît de plus en plus évident que non seulement « prévention » et « accès aux soins et aux traitements » sont deux priorités qui doivent être menées de front et articulées l’une à l’autre, mais que, par ailleurs, sans un accroissement considérable des moyens mis en oeuvre, la lutte contre le sida ne sera jamais à la hauteur de l’épidémie et ne pourra parvenir à en contrôler l’évolution.
Dans les pays en développement, l’heure est à la prise de conscience, même pour les gouvernements les plus réticents à considérer cette épidémie comme une priorité absolue : tant socialement qu’économiquement, les conséquences du sida sont totalement désastreuses. D’autant que cette épidémie entraîne avec elle l’aggravation d’autres pathologies et épidémies qui profitent de la fragilité immunologique de ces malades, pour se développer (tuberculose, choléra, …).
C’est pourquoi, les décideurs et les bailleurs de la lutte contre le sida doivent être mis au fait de la situation des malades, de la gravité de l’épidémie et de l’urgence d’une réaction adaptée de leur part.
Ces responsables, nous les connaissons. Nous avons les moyens de les interpeller directement.
Nous ne nous faisons pas d’illusion, ils ne répondront pas aux malades, n’enverront pas de médicaments. Mais nous pensons qu’il est essentiel qu’ils soient soumis à cette pression des malades, qu’ils soient confrontés à la réalité de gens au seuil de la mort ; que cela doit les ‘aider’ à élaborer et mettre en place des politiques de lutte contre le sida plus adaptées à la réalité de l’épidémie, à la réalité des besoins des personnes.
Les responsables des institutions doivent être bien conscients que l’absence de réponse ou le refus d’accéder à une demande n’est rien d’autre qu’une condamnation à mort.
Il est clair que le résultat à court terme ne sera pas l’obtention de médicaments pour ceux qui en auront fait la demande. Mais pour que ces médicaments deviennent le plus rapidement disponibles dans les pays en développement, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une prise de conscience internationale ; du fait que les malades demandent l’accès aux traitements, du fait que personne ne peut décemment leur refuser, sauf à en prendre personnellement la responsabilité et à l’assumer.