Du 7 au 9 mai 2000 se tenait à Ouagadougou (Burkina Faso) une réunion des ministres de la santé de l’OUA (Organisation pour l’Unité Africaine) sur le VIH/sida. A deux mois de la conférence internationale de Durban, les responsables africains devaient se saisir de cette opportunité pour se mobiliser et exiger l’accès aux soins et aux traitements pour leurs malades.
L’épidémie de sida est hors de contrôle. Plus de 30 millions de personnes sont condamnées à une mort certaine à court terme faute de soins. La prise en charge médicale des malades doit d’urgence être associée aux politiques de prévention dans les pays africains. Pourtant le prix prohibitif fixé par les laboratoires détenteurs des brevets sur les médicaments représente un obstacle majeur.
Dans ce contexte les accords internationaux sur la propriété intellectuelle, dits accords ADPIC (TRIPS en anglais), offrent différents recours pour les pays. Ils prévoient la possibilité pour un Etat, confronté à une situation d’urgence nationale, de faire fabriquer par une industrie locale une version générique d’un médicament encore sous brevet — il s’agit du recours aux licences obligatoires — ou d’acheter des traitements là où ils sont vendus moins chers — importations parallèles. Ces dispositions, conformes aux règles du commerce mondial, représentent les seules possibilités légales pour les pays pauvres d’intégrer l’OMC tout en permettant à leurs populations d’accéder aux médicaments.
Si l’industrie pharmaceutique a longtemps prétendu que cela signerait la mort de la recherche et du développement de nouveaux médicaments, cet argument est aujourd’hui largement démenti : une grande partie de ces coûts est financée par des organismes publics (CDC, NIH, notamment). En outre, les marges bénéficiaires (jusqu’à plus de 95% du prix du médicament) réalisées par les compagnies sur les marchés occidentaux couvrent amplement les investissements préalables à la commercialisation. Sachant qu’un continent comme l’Afrique ne représente qu’une part infime du marché de ces compagnies, on imagine mal, par ailleurs, comment l’intérêt des compagnies pharmaceutiques pourrait être menacé. C’est donc avant tout par conservatisme que l’industrie prend des positions draconiennes, souhaitant garder partout le contrôle de la tarification et de la distribution.
Ainsi, les compagnies pharmaceutiques, assistées par le gouvernement américain et l’Union européenne, font pression (désinformation, chantages, menaces de procès, pressions bilatérales, mesures de rétorsion économique, etc.) pour dissuader les pays pauvres de recourir aux dispositions prévues par les accords TRIPS et pour maintenir le monopole des laboratoires occidentaux sur la production et la commercialisation des traitements. Les exemples se sont multipliés depuis un an : en Thaïlande, en Afrique du Sud, en République Dominicaine, au Brésil, aux Philippines, etc. Le lobby pharmaceutique cherche, en outre, à imposer aux pays en développement des exigences plus contraignantes encore que celles dictées par les standards internationaux.
Cette attitude illégale condamne les populations des pays pauvres et entretient une catastrophe internationale. En outre, elle s’oppose aux recommandations émises par l’OMS qui a reçu mandat, à l’occasion de l’Assemblée Mondiale de la Santé, en juin dernier, pour veiller au respect des priorités de santé dans le cadre des relations commerciales internationales.
Si l’industrie pharmaceutique a su très tôt se faire entendre par les organismes internationaux et les gouvernements, de nombreux responsables officiels de l’OMS, de la Banque mondiale, de l’ONUSIDA sont intervenus récemment pour rétablir l’équilibre et défendre les enjeux de Santé publique. Ils ont notamment encouragé publiquement le recours aux licences obligatoires pour permettre l’accès aux médicaments. ONG, activistes, professionnels de santé et du développement se sont mobilisés pour alerter l’opinion publique et les responsables politiques (Etats Unis, France, Thaïlande, Afrique du Sud, etc). La France, qui d’ici quelques semaines prendra la présidence de l’Europe, s’est engagée à soutenir l’accès aux traitements dans les pays en développement et le recours aux dispositions prévues par TRIPS. Les bailleurs internationaux ont en effet le devoir de soutenir politiquement et financièrement la lutte contre l’épidémie et l’accès aux traitements pour les personnes atteintes partout dans le monde.
Cette réunion de l’OUA marquait une étape décisive avant l’Assemblée Mondiale de la Santé (15 au 20 mai) à Genève au cours de laquelle les ministres de la santé des pays africains doivent se faire entendre et imposer la prise en compte de leur situation et de leurs besoins.
Pour sa part Act Up continue d’exiger la possibilité pour les pays pauvres de produire localement les médicaments dont ils ont besoin et d’acheter au plus bas prix. Il est grand temps de rappeler que le médicament n’est pas un produit comme un autre, que son commerce ne peut être pratiqué comme celui de n’importe quel produit de consommation courante. La lutte contre le sida dans les pays en développement doit passer avant les intérêts économiques des laboratoires.