Guyane, en attente sur le fleuve :
Le professeur Mathieu Nacher, président du CoreVIH de Guyane a publié une lettre ouverte à destination du médecin inspecteur de l’Office Français de l’Intégration ( OFII ) le 27 avril 2018, portant sur des refus de carte de séjour pour soins pour des personnes séropositives au motif que les traitements ARV sont disponibles dans leur pays d’origine. Soulignant qu’il s’agit de la première fois depuis quatorze ans qu’il peut témoigner d’une telle pratique, la lettre du professeur nous engage à nous pencher sur la situation de la lutte contre le sida en Guyane. La file active des personnes vivant avec le VIH en Guyane représente environ 2000 personnes et est composée à 82,1 % de personnes nées à l’étranger dont près de la moitié se sont infectées en Guyane. La transmission du VIH a lieu essentiellement au cours de rapports hétérosexuels. Les jeunes de moins 24 ans représentent 15 % des contaminations, les usagers de drogues, également 15 %, les travailleurs du sexe 8 % et les contaminations dans les prisons 5 %. La Guyane est le territoire français où la séroprévalence prospère le plus.
La majorité des structures de soins se situe le long de la seule nationale du département, longeant la façade atlantique. D’autres structures, plus modestes, ainsi que des missions ponctuelles de santé orientées autour du VIH et des IST sont assurées par des associations sur le reste du territoire, notamment le long des fleuves Maroni et Oiapock, marquant chacun la frontière naturelle avec les états voisins (Suriname et Brésil).
Des programmes transfrontaliers sur la prise en charge de personnes vivant avec le VIH ont été mis en place depuis quelques années, au niveau des villes de Albina ( Surinam ) et St Laurent, ainsi qu’entre St George et Oiapock ( Brésil ). Ces programmes visent à une meilleure prise en charge des personnes séropositives en mutualisant les ressources des deux côtés de la frontière. Ces programmes démontrent que les zones transfrontalières sont des espaces à investir et non à contrôler afin de permettre des interactions favorisant de nombreux échanges dans le domaine de la santé.
Les départements d’Outre Mer font l’objet de mesures d’exceptions et droits dérogatoires concernant l’entrée au séjour, la circulation des étrangers, les pouvoirs de contrôle et le placement en rétention administrative. Les pouvoirs des forces de l’ordre sont considérablement accrus et se traduisent par des contrôles de police plus larges qu’en Métropole. Le Maroni et l’Oyapock ainsi que la Nationale qui dessert la côte font l’objet d’un droit dérogatoire des frontières qui permet de placer en zone d’attente les personnes étrangères interpellées. Les principales voies fluviales qui constituent les frontières et la route nationale, principal axe de communication qui dessert la zone la plus développée et peuplée du territoire, sont donc entièrement des zones de droits spécifiques permettant de contrôler et d’expulser en passant outre le principe des jours francs. Ces dispositifs sont justifiés par les pouvoirs publics par la lutte contre la délinquance et l’immigration illégale. Le droit dérogatoire permet d’entretenir une confusion entre droit aux frontières et régime d’éloignement. Ces dispositifs de contrôle et d’enfermement sont complétés par deux barrages routiers fixes situés sur la Nationale à Regina et Iracoubo, installés officiellement pour lutter contre la délinquance mais dont les associations locales condamnent leur usage dans la lutte contre l’immigration illégale.
Les Outre Mer représentent 70 % des expulsions en France. 1324 personnes ont été placées en CRA en 2015 en Guyane, pour un temps de séjour moyen de 2 jours (contre 18 en métropole). Seulement 3,5 % des personnes ayant séjourné dans le CRA ont vu un juge. 1/3 des personnes placées dans le CRA sont de nationalité brésilienne, 25 % haïtiennes, 18 % surinamaises et 8 % chinoises. Des accords à la légalité douteuse permettent l’expulsion rapide vers le Surinam ou le Brésil, afin de réguler d’autres types de mobilités internes, comme les orpailleurs illégaux qui transitent régulièrement à travers les frontières. Plus globalement, les flux migratoires en provenance du Surinam, du Brésil et d’Haïti ainsi que la population d’Haïti entretiennent sur le territoire guyanais une mobilité que même les droits dérogatoires aux frontières et les pouvoirs de police accrus ne peuvent endiguer. La politique de lutte contre l’immigration illégale apparaît autant inefficace que contre productive vis-à-vis de la santé publique.
Le professeur Nacher pointe dans son courrier à l’OFII une logique contradictoire opposant les politiques de santé publique aux politiques de lutte contre l’immigration. Alors que la France refuse des titres de séjour pour soins à des personnes étrangères séropositives, la situation de la Guyane expose de manière criante la profonde imbrication des politiques de santé publique et migratoires. Pourtant, de nouveaux dispositifs concernant les flux migratoires entrent en vigueur ce lundi 3 septembre en Guyane, dérogeant une fois de plus à l’application du droit commun et du CESEDA ( Code de l’entrée et du droit au séjour des étrangers et du droit d’asile ). Ainsi, les personnes étrangères, une fois identifiées, n’ont maintenant plus que 7 jours pour déposer leur demande d’asile. L’Ofpra dispose alors de 15 jours pour statuer sur cette demande. Si le durcissement des politiques migratoires est déjà identifié comme une entrave aux dépôts de demande de titre de séjour pour soins, ces nouvelles dispositions vont renforcer l’exclusion des personnes vulnérables et malades. La virologie moléculaire démontre la nature régionale de l’épidémie, les politiques anti-migratoires et leur application via des droits dérogatoires compliquent lourdement la lutte contre le VIH. Les initiatives transfrontalières sont à amplifier afin de garantir un accès aux dépistages et aux traitements plus effectifs. Dans l’attente, des personnes séropositives ayant formulé leur demande ou non sont expulsées, entraînant « des conséquences d’une exceptionnelle gravité » : la mort