Les résultats d’études fleurissent régulièrement dans nos pages, des analyses complexes dont nous détaillons ici quelques éléments. Ce texte est ardu mais peut permettre une meilleure compréhension de données scientifiques qui concerne notre suivi à venir.
Les investigateurs de DAD ont suivi 33 347 personnes vivant avec le VIH (dont seulement 26 % de femmes) enrôlées dans leurs cohortes respectives entre décembre 1999 et janvier 2005 et ont relevé 517 infarctus du myocarde jusqu’au 1er février 2007, date d’arrêt pour les analyses rapportées. Ces infarctus ont concerné les hommes à 92 %. Parmi les 517 cas, 509 personnes avaient été exposées à des traitements antirétroviraux dont 59 étaient hors traitement lors de l’infarctus – pour les personnes n’ayant pas eu d’infarctus, le pourcentage de celles exposées à un traitement antirétroviral était de 90 %.
Lors de la dernière évaluation des CD4 et de la charge virale avant infarctus, la valeur médiane des CD4 était de 420 (fourchette de 1 à 1 686) par microlitre avec un nadir de 130 (fourchette de 0 à 1 020) et la charge virale était inférieure à 50 copies par millilitre pour 51 % des personnes. Les personnes touchées par l’infarctus étaient plus âgées, plus souvent des hommes et des fumeurs, avaient plus souvent des antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires et étaient plus susceptibles d’avoir été diagnostiquées comme diabétiques, hypertendues, atteintes de lipodystrophies ou de dyslipidémie, par rapport à celles qui n’ont pas eu d’infarctus.
Au bonheur des statisticiens
En utilisant un modèle statistique tenant compte de l’utilisation cumulative annuelle d’un inhibiteur (par tranches de type : moins d’un an d’utilisation, entre 1 et 2 ans, …, entre 5 et 6 ans et plus de 6 ans) et après ajustement pour un certain nombre de facteurs (âge, sexe, indice de masse corporelle, antécédents cardiaques, autres traitements, etc.), les investigateurs ont constaté que, contrairement à ce qu’ils auraient pu attendre, l’utilisation prolongée de stavudine ou de zidovudine n’était pas associée significativement au développement d’un infarctus. Statistiquement, cela s’énonce par un taux d’infarctus de 1.03 avec un intervalle de confiance[[Un intervalle de confiance à 95 % permet de situer où la valeur d’intérêt a 95% de chances de se trouver.]] à 95% entre 0.99 et 1.08 et une valeur de P[[La valeur de P donne une estimation du risque d’erreur, ainsi une valeur de P de 0,03 signifie que l’on a 3 % de chances de se tromper et donc 97 % de chances que la différence observée ne soit pas due au hasard.]] de 0.14 pour la zidovudine – abrégé en 1.03 [0.99-1.08], P = 0.14 – et 1.04 [0.99-1.10], P = 0.11 pour la stavudine. L’intervalle de confiance englobant 1 et P étant supérieur à 0.05, les statisticiens concluent qu’il n’y a pas d’association significative. Les valeurs sont proches pour la lamivudine, 1.03 [0.98-1.08], P = 0.28, mais par contre celles pour l’abacavir et la didanosine révèlent des taux relatifs un peu plus élevés à 1.14 [1.08-1.21], P = 0.0001 et 1.06 [1.01-1.12], P = 0.03, respectivement. Cette fois, l’effet est statistiquement significatif (borne inférieure de l’intervalle supérieure à 1 et valeur de P inférieure à 0.05) et les investigateurs concluent que l’utilisation prolongée de ces deux antirétroviraux est associée à un risque accru de survenue d’un infarctus du myocarde.
Dans des analyses ultérieures visant à évaluer l’effet d’une prise récente des produits (au cours des derniers six mois), les taux relatifs d’infarctus, calculés cette fois en comparant avec les personnes n’ayant jamais pris l’antirétroviral ou l’ayant pris il y a plus de six mois, encadrent toujours la valeur de 1 pour la zidovudine, la stavudine et la lamivudine (pas d’association significative entre la prise de l’antirétroviral et la survenue d’un infarctus), mais sont encore plus élevés que précédemment pour la didanosine à 1.49 [1.14-1.95], P = 0.003 et l’abacavir à 1.90 [1.47-2.45], P = 0.0001. Concrètement, cela veut dire que le taux d’infarctus est plus élevé de 90 % chez les personnes des cohortes de DAD ayant pris récemment de l’abacavir par rapport à celles n’en ayant jamais pris du tout ou lors des derniers six mois ; pour la didanosine le taux est plus élevé de 49 %. D’autres analyses ont été effectuées et sans rentrer plus avant dans les détails, il ressort toujours que l’utilisation de la didanosine ou de l’abacavir au cours des derniers six mois est associée à un taux d’infarctus plus élevé pour les investigateurs de DAD.
Conséquences pour le futur
En intégrant les prédictions de risque à 10 ans d’avoir une pathologie coronaire cardiaque, risque établi selon l’équation dite de Framingham[[L’équation de Framingham est une méthode de calcul du risque cardiovasculaire intégrant l’âge, le fait de fumer ou non, le taux de cholestérol total et du HDL cholestérol, un diabète éventuel ou non, l’existence ou non d’une hypertrophie ventriculaire gauche définie par un électrocardiogramme, la valeur de la pression artérielle systolique et le sexe.]] et calculé pour les personnes chez qui les données étaient disponibles, il ressort qu’il y avait plus de personnes avec un risque modéré (134 soit 37 %) ou fort (120 soit 33 %) parmi celles ayant été touchées par un infarctus que parmi celles n’en ayant pas eu (4 161 soit 18 % et 1 308 soit 6 %, respectivement). En comparant cette fois les personnes ayant pris de l’abacavir ou de la didanosine pour la première fois lors du suivi dans une cohorte de DAD à celles ayant débuté un des trois autres inhibiteurs non nucléosidiques lors du suivi, il apparaît que les profils de risque cardiovasculaire sont moins bons pour le premier groupe. Les investigateurs montrent aussi les taux d’infarctus en fonction du risque à 10 ans : chez les personnes n’ayant pas pris d’abacavir récemment, les taux sont de 1.0, 5.9 et 15.9 infarctus pour 1 000 personnes.années chez les personnes à faible, moyen ou fort risque et de 2.9, 7.7 et 32.5 infarctus pour 1 000 personnes.années pour les mêmes catégories chez les personnes en ayant pris récemment.