L’édition 2002 du rapport du groupe d’experts présidé par le Pr. Delfraissy, qui fixe les orientations de la prise en charge des personnes infectées par le VIH, l’indique clairement : «Le discours de prévention doit être simple : seuls les préservatifs, qu’ils soient masculins ou féminins, protègent du VIH et des principales infections sexuellement transmissibles. Cette évidence doit être rappelée […]». Avec d’autres acteurs de la lutte contre le sida, Aides remet en cause cette évidence et tente de «repenser la prévention» du sida.
Ainsi, l’association a mis en place une expérience dans un sauna de Marseille. Les volontaires distribuent aux clients du sauna des cartes développant un discours dit de «réduction des risques sexuels». Au recto un slogan (par exemple : «Tu baises sans capote ? Mets au moins du gel !» ou «Sans capote, mieux vaut se retirer avant d’éjaculer.»). Au verso, le texte développe le slogan, invite au dépistage et rappelle que le préservatif, utilisé avec un gel à base d’eau, reste le «meilleur» moyen de se protéger.
Cette campagne est choquante à plus d’un titre. Le préservatif, masculin ou féminin, n’est pas le «meilleur» moyen de se protéger, mais bien le seul. Les gels virucides parfois présentés comme des alternatives à la capote n’ont jusqu’à présent pas prouvé leur efficacité ; pire encore, les essais ont montré que les virucides, en fragilisant les muqueuse vaginales, facilitaient les contaminations.
Il ne s’agit donc plus de prévention mais d’information sur des probabilités de contamination : «telle pratique est moins risquée que telle autre». Un flyer explique par exemple que sans capote, «enculer» est moins risqué que «se faire enculer». Le postulat de départ de ce discours est une pratique contaminante (sans capote).
En tant qu’association de séropositifs, nous ne pouvons l’accepter. Pour nous, il n’y a pas de risque «tolérable» de contaminer ou de se faire contaminer. C’est pourtant ce que défendent plus ou moins explicitement les partisans de la réduction des risques. Ces flyers participent enfin d’une confusion des genres, entre ce qui relève de la prévention sur le terrain, pendant laquelle il est possible d’aborder tous les aspects des contaminations au cours d’un dialogue, et la prévention faite sur des supports écrits. Délivrer un message de type «réduction des risques sexuels», faits de slogans, sans le moindre discours d’accompagnement clair est totalement inconscient. La diffusion de ce type de message risque de généraliser une nouvelle norme de comportements sexuels qui exclut d’emblée le préservatif : on «gérera les risques» plutôt que de les prévenir en utilisant une capote. Le préservatif passe ainsi au second plan des préoccupations, alors que, pour nous, il doit rester au premier plan de tous les discours et les comportements de prévention.
Bien sûr, ce discours est confortable : qui n’a pas envie d’oublier la nécessité de se protéger, et donc de porter un préservatif lors d’une relation sexuelle ? Mais nous ne pensons pas qu’entretenir cet oubli, même avec les meilleures intentions du monde, soit le rôle d’une association de lutte contre le sida. C’est pourtant ce que fait Christian Saout, président de Aides, dans sa tribune publiée dans Libération le 30 août. Au lieu d’envisager de reléguer la capote au second plan des politiques de prévention, il nous semble plus opportun de réfléchir à un moyen plus efficace de promouvoir encore et toujours son utilisation et d’améliorer un discours d’accompagnement. On ne nous fera pas croire, comme semble l’affirmer Christian Saout, que c’est parce qu’on a trop fait la publicité de la capote que celle-ci est moins utilisée.
Depuis plus de trois ans, Act Up alerte les pouvoirs publics sur la reprise des pratiques à risque. De nombreux facteurs interviennent : l’ignorance des modes de contaminations, la lassitude des personnes face aux contraintes de la prévention ou encore l’indifférence face à une maladie que beaucoup jugent chronique, voire guérissable. Dans ce domaine, la démission des pouvoirs publics par l’absence, la nullité ou la censure des campagnes publiques a joué un rôle prépondérant.
Mais, face à ces responsables administratifs ou politiques qui ne prennent pas la mesure de l’épidémie, la réponse des associations de lutte contre le sida ne peut être l’abandon du préservatif et la promotion d’une échelle de pratiques plus ou moins contaminantes. Que signifie «repenser la prévention» ? Les politiques de prévention sont simples, connues depuis longtemps, et n’ont jamais été appliquées : des campagnes ciblées, une mise à disposition du matériel de prévention, et notamment du préservatif féminin, des campagnes d’information sur la réalité du VIH et des traitements, une véritable éducation à la sexualité à l’école.
Les modes de contamination n’ont pas changé, pas plus que les moyens de se protéger. Pourquoi vouloir mettre en place un discours encourageant des relations sexuelles non protégées ? La reprise des pratiques à risques constitue un véritable drame pour toutes les associations de lutte contre le sida. Mais remettre en cause la place du préservatif dans la prévention, c’est apporter une mauvaise solution au problème.
Le débat sur la prévention amorcé lors des Etats généraux Homosexualité, genres et Sida, organisé par Aides et Sida Info Service, en mai dernier doit se poursuivre. C’est pourquoi Act Up-Paris organisera prochainement une Assemblée générale de la prévention à laquelle seront invités toutes les associations de lutte contre le sida ainsi que des représentants des pouvoirs publics. Nous espérons que chacun de ces acteurs saura répondre présent.