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Présentées à la CROI* de 2008, les dernières analyses issues du suivi de la cohorte DAD[[DAD : acronyme pour Data collection on Adverse events of anti-HIV Drugs. Base de données des effets secondaires dus aux antirétroviraux intégrant 11 cohortes, soit 33 347 personnes vivant avec le VIH sur 212 sites en Europe, aux Etats-Unis et en Australie.]] ont surpris tout le monde, y compris les investigateurs. Des avis contradictoires, des résultats discutés, qui croire ?

Alors que l’on s’attendait à ce que deux antirétroviraux, la stavudine et la zidovudine, des analogues de la thymidine, contribuent à augmenter le risque de maladie cardiovasculaire, ce sont en fait deux autres antirétroviraux de la même classe (des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse), la didanosine et surtout l’abacavir qui ont été associés à une telle augmentation. Celle-ci apparaît encore plus prononcée lors d’une utilisation récente (lors des derniers six mois) et se traduit par un risque accru d’infarctus du myocarde selon l’analyse effectuée. Le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) qui commercialise l’abacavir rétorque que l’analyse rétrospective des données des essais effectués avec l’abacavir ne permet pas de conclure cela. Notre tentative de décryptage illustre les limites du retour rétrospectif à des essais cliniques qui n’ont pas été conçus au départ pour répondre aux questions soulevées par des observations de cohortes, observations elles-mêmes limitées pour véritablement établir un lien causal entre l’utilisation d’un médicament et des événements indésirables. Enfin, la question qui se pose à nous est alors de savoir comment traduire ces observations dans la pratique de nos traitements journaliers : faut-il abandonner l’abacavir, être seulement vigilant ? L’Afssaps a tranché, provisoirement, dans un communiqué publié le 4 avril 2008.

Dans Protocoles n°35, de décembre 2004, nous avions déjà évoqué la cohorte DAD à propos des effets cardiovasculaires. Nous y revenons aujourd’hui suite au poster de la dernière CROI qui a suscité des remous et particulièrement chez les pourvoyeurs de l’un des antirétroviraux incriminés dans l’étude observationnelle comme pouvant augmenter le risque de développement d’infarctus du myocarde. Il s’agit de l’abacavir commercialisé par GSK seul sous le nom de Ziagen® et en association avec la lamivudine sous le nom de Kivexa® et avec la lamivudine et la zidovudine sous le nom de Trizivir®. L’autre antirétroviral incriminé dans une moindre mesure est la didanosine (ddI) commercialisée par Bristol-Myers-Squibb sous le nom de Videx®. Ces médicaments sont utilisés depuis de nombreuses années et n’étaient pas ceux que l’on attendait comme associés à une augmentation des risques cardiaques.

Antirétroviraux et risques cardiaques

Les personnes vivant avec le VIH présentent un facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire par rapport à la population générale : l’utilisation des antirétroviraux, en particulier, les inhibiteurs de la protéase du VIH qui peuvent entraîner des troubles lipidiques. C’est ce qui pourrait expliquer l’observation de leur association à une augmentation du risque d’infarctus du myocarde. Dans la mesure où la prise d’inhibiteurs de protéase est souvent associée à celle d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, l’association de ces derniers à l’augmentation du risque n’était pas à exclure. Ainsi, les investigateurs de DAD indiquent-ils dans l’introduction de la publication de leur nouveaux travaux dans la revue The Lancet datée du 26 avril 2008 que si l’on tient compte de l’utilisation des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, l’association entre l’utilisation d’inhibiteurs de protéase et l’augmentation du risque d’infarctus se trouve diminuée. Ceci suggérait que les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse pourraient aussi contribuer à ce risque. D’un point de vue du mécanisme potentiel, deux de ces inhibiteurs, la stavudine (d4T ou Zerit®) et la zidovudine, des analogues de la thymidine (un des éléments de base de l’ADN), sont aussi associés au développement de troubles lipidiques et à d’autres éléments pouvant contribuer à l’apparition de pathologies cardiovasculaires. Les investigateurs de DAD ont donc entrepris une nouvelle série d’analyses, à partir d’observations pendant le suivi des cohortes, pour évaluer s’il existe véritablement une association entre prise d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse et augmentation du risque d’infarctus du myocarde.

Nouveaux résultats

Qu’y a-t-il donc de nouveau ? En suivant 33 347 personnes vivant avec le VIH sur plusieurs années (157 912 personnes.années[[Une personne suivie sur un an représente une personne.année, sur 6 mois, 0,5 personne année, sur 2 ans, 2 personnes.années, etc.]]) avec une valeur médiane – celle qui sépare moitié-moitié de part et d’autre – de 5,1 année par personne, les investigateurs de DAD ont dénombré 517 infarctus du myocarde. Cette survenue a été analysée en fonction de l’utilisation de cinq antirétroviraux de la classe des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse : zidovudine, didanosine, stavudine, lamivudine et abacavir.

Ils n’ont pas trouvé d’association entre le nombre d’infarctus du myocarde et l’utilisation cumulée ou récente (derniers six mois) de zidovudine, stavudine ou lamivudine. Par contre, une utilisation récente sur les six derniers mois de didanosine et d’abacavir était associée à une augmentation du taux d’infarctus du myocarde. En comparaison avec les personnes n’ayant pas pris l’antirétroviral au cours des six derniers mois, les taux d’infarctus étaient plus élevé de 90 % pour l’abacavir et 49 % pour la didanosine pour les personnes exposées à ces deux médicaments au cours des six derniers mois. Dans ces deux cas, les différences étaient significatives. Le chapitre « Pour aller plus loin » apporte plus d’éléments détaillés sur ces nouveaux résultats.

Néanmoins, les auteurs des analyses des cohortes de DAD précisent qu’il faut être prudent quant à l’interprétation de leurs analyses statistiques.

Réponse du laboratoire commercialisant l’abacavir

Après avoir pris connaissance des nouveaux résultats de DAD, le laboratoire GSK a passé en revue 54 essais cliniques dont il était le sponsor – des essais cette fois, pas un suivi de cohortes – correspondant à des durées de 24 à 48 semaines où l’abacavir a été utilisé. Sur 14 683 personnes y ayant participé, 9 639 avaient pris de l’abacavir et 5 044 pas. Onze personnes ont eu un infarctus parmi celles ayant pris de l’abacavir (0.11 %) et 7 (0.14 %) parmi celles n’en ayant pas reçu. La conclusion tirée par le laboratoire est qu’il n’y a donc pas de différence en terme de risque d’infarctus du myocarde, mais ces analyses ont été présentées sous forme de courte lettre dans le même numéro du Lancet d’avril, la méthodologie utilisée et les détails pour arriver à ces conclusions ne sont néanmoins pas mentionnés.

Dans cette lettre du Lancet, le laboratoire indique aussi que la consultation des registres des effets secondaires notifiés soit au laboratoire, soit à la Food and Drug Administration[[La FDA est une instance américaine décisionnelle pour l’autorisation de mise sur le marché.]] n’aurait pas non plus mis en évidence une augmentation de risque avec l’abacavir.

Décryptage

Les investigateurs de DAD écrivent clairement dans leur article qu’il s’agit d’une étude observationnelle et qu’ainsi elle n’est pas conçue pour établir de façon définitive que les associations de traitements mis en exergue reflètent le fait que l’antirétroviral est la cause de l’effet trouvé. De plus, comme ils l’indiquent aussi dans leur article, les associations observées restent marginales.

De leur côté, pour justifier l’absence d’association entre prise d’abacavir et augmentation de risque de survenue d’infarctus du myocarde, les investigateurs de GSK font appel à des essais dont le but initial n’était pas de répondre à la question soulevée par les nouveaux résultats de DAD. De plus, le nombre d’événements rapportés (onze plus sept) est trop faible (ce qui est plutôt rassurant pour les personnes ayant participé aux essais) et la durée des essais invoqués trop courte (ils visent à montrer une efficacité sur 48 semaines maximum) pour des études statistiques sérieuses permettant de conclure avec confiance sur des effets à long terme. Se pose une nouvelle fois l’intérêt de la conduite d’étude post-AMM qui permettent d’avoir sur le long terme une visions réelle de la situation des malades sous traitement.

D’un côté comme de l’autre, les études statistiques pêchent par manque de puissance (dit-on en jargon statistique) pour détecter avec fiabilité un effet causal – ne parlons même pas ici de mécanisme éventuel. Quelle serait la solution pour y voir clair ? Tout simplement un essai clinique spécialement conçu pour répondre à la question « l’abacavir est-il responsable d’une augmentation du risque de survenue d’infarctus du myocarde ? » – le terme est bien responsable et non plus associé. Une telle proposition est suggérée par les investigateurs de DAD. Elle consiste à monter un essai contrôlé et randomisé avec un effectif important de personnes recrutées, au moins 5 000 participants par groupes, pour un suivi de deux ans (nous rajoutons un critère de sexe, essentiel pour appréhender les différences de problèmes cardio-vasculaires entre femmes séronégatives et femmes séropositives). On peut s’interroger sur la durée proposée : ce serait plutôt un essai plus long qui permettrait de connaître effectivement les risques d’utilisation à long terme dans la vie réelle où les prises ne s’arrêtent pas à deux ans pour beaucoup d’entre nous. Mais qui va se lancer dans un tel essai randomisé ? Le laboratoire GSK ne rebondit pas sur cette proposition et se contente de déclarer qu’il prend au sérieux les résultats de DAD. Allez, soyons réalistes, il n’y a pas que l’abacavir qui présente d’éventuels risques à long terme. Il faudrait donc que plusieurs laboratoires s’y collent ensemble. On peut toujours rêver ! A moins que nos institutions – et celles d’autres pays évidemment – prennent l’affaire en main. Côté français, on ne peut pas dire que le paysage financier actuel dévolu à ce type d’entreprise, voire à notre santé en général, nous donne du baume au cœur.

Qu’en pense les institutions ?

Parce que précisément il n’est pas possible de trancher sur la réalité causale des observations rapportées par les investigateurs de DAD, l’Afssaps, prenant le relais de l’agence européenne du médicament (EMEA), a émis un communiqué début avril pour éviter des interprétations préjudiciables à la prise en charge médicale. En l’absence de données complémentaires, les conclusions de l’EMEA telles que communiquées par l’Afssaps sont indiquées dans l’encart.

Encart communiqué Afssaps du 3 avril 2008

Sur la base des données disponibles, l’Agence européenne a conclu, qu’en l’état des connaissances :
– il n’est pas possible d’affirmer un lien définitif entre la prise d’abacavir ou de didanosine et une éventuelle augmentation du risque d’infarctus du myocarde ;
– aucune modification de l’information des Résumés des Caractéristiques des Produits (RCP) n’est envisagée à ce stade.

Toutefois, les experts européens considèrent que d’autres données scientifiques sont nécessaires afin de déterminer si l’utilisation de ces médicaments entraîne ou non une élévation du risque d’infarctus du myocarde. Dans l’objectif d’approfondir l’évaluation de ce risque potentiel, l’Agence européenne a demandé des données complémentaires aux investigateurs de deux études épidémiologiques actuellement en cours. Ces données sont attendues d’ici la fin de l’année.

L’Afssaps rappelle l’importance des mesures permettant de minimiser les facteurs de risques cardiovasculaires tels que le tabac, l’hypertension, l’hyperlipidémie et le diabète par une prise en charge adaptée.

Un courrier reprenant l’ensemble de ces informations va être adressé aux professionnels de santé prochainement.